Église en mission

Le 3 juin 2012, le culte était animé par le groupe AVEC sur le thème de « l’Église en mission (locale) » dans le prolongement des propositions émises en assemblée d’église 2012.
Lectures bibliques : Psaume 126
; Actes 6, 1-7; Jean 4, 35-38

Chers amis,

Le groupe AVEC a choisi cette année le thème de la mission, plus particulièrement celui de la mission au sein de l’Église locale, comme thème de réflexion pour son culte annuel.

En réunion de préparation de notre culte, le thème de la mission nous a renvoyés dans les concordances de la Bible, précisément à la notion d’envoi, et celui-ci nous a fait retomber sur la moisson. Mission et moisson, voilà deux mots qui se prononcent de façon assonante et allitérante, et j’y vois comme un clin d’œil, déjà, de l’Esprit.

Dès que nous entrons dans le vif du texte de l’Evangile, nous sommes confrontés à un problème de temporalité. En effet, le texte insiste sur le fait que, « déjà les champs sont blancs », et sur le fait que le moissonneur perçoit tout de suite un salaire et peut sans délai amasser du fruit, si bien que l’Evangile nous dit encore que celui qui sème et celui qui moissonne se réjouissent ensemble. Cela nous amène à souligner que pour l’évangéliste, semeur et moissonneur peuvent être contemporains mais qu’il s’agit de personnes différentes. Il cite un proverbe de ce temps qui indique « l’un sème, l’autre moissonne » ; et Jean d’insister encore : « Je vous ai envoyés moissonner ce qui ne vous a coûté aucune peine. »

Nous pourrions en tirer la conclusion que l’ensemencement et la moisson ne sont guère séparés par le temps mais qu’ils sont bien marqués par le fait que ce sont des personnes différentes qui exécutent ces deux types d’actes.

Mais cette conclusion serait trop rapide car nous nous heurtons à un problème, c’est que le psalmiste semble dire autre chose que l’évangéliste. La maxime bien connue « Qui a semé dans les larmes moissonne dans la joie » ne disjoint pas, pour le coup, le semeur du moissonneur.

S’il y a là un obstacle, rien n’interdit toutefois de le contourner en changeant de regard, sans s’appesantir sur l’apparente contradiction, mais en s’intéressant plutôt à ce que ces deux approches ont de commun. Ce qui est incontestable, en effet, c’est que l’acte de semer, et celui de récolter sont deux actes très différents : ils peuvent être accomplis par deux personnes au même moment, par la même personne à deux moments différents, mais en aucun cas ils ne peuvent se confondre. Et ces actes sont à ce point différents qu’ils entraînent aussi des sentiments très différents, sur lesquels le Psaume et l’Evangile, cette fois, s’accordent : semer est une peine, une charge, un labeur, et peut aller jusqu’à provoquer des larmes d’épuisement ou d’angoisse quant à l’avenir de la récolte, tandis que la moisson provoque la joie comme une promesse d’un bien-être à portée de main. Ce n’est pas, insistons-y encore, que les deux actes soient nécessairement séparés dans le temps : celui qui sème peut se réjouir avec son voisin qui moissonne un autre produit de la terre sur un autre champ, mais les actes demeurent quant à eux de nature différente.

Evidemment, la Bible utilise les images de l’ensemencement et de la moisson de façon allégorique, pour nous faire comprendre autre chose, et cette autre chose repose dans les objectifs que se donne l’Église. Si Dieu affirme qu’il nous a envoyés moissonner, c’est bien que la moisson se confond avec la mission, puisque je rappelle que l’origine du mot « mission » vient du verbe latin signifiant « envoyer ».
Avant de considérer en quoi les propos évangéliques sur la moisson nous éclairent sur la mission de l’Église, nous pouvons d’abord tenter de définir celle-ci. Aussi, je vous propose une définition de Klauspeter Blaser dans l’Encyclopédie du protestantisme qui pose la mission comme « diffusion du message chrétien et extension de l’Église qui est le porteur social de ce message et qui, à travers son activité missionnaire, fait des convertis en les baptisant. »

Cette définition comporte trois éléments. D’abord, elle fait état de l’importance du message chrétien qui mérite d’être diffusé. Et en effet, j’aurais tendance à dire que le message du Christ est un message fantastique. Et je dirais même qu’il est fantastique en au moins deux sens. Il l’est d’abord parce qu’il ressortit au fantasme. Le Christ nous annonce un monde possible sans violence, un monde où nous pouvons être comblés d’amour, un monde enfin où nous ne quittons jamais ou seulement pour peu de temps celles et ceux que nous aimons qui sont promis à la Résurrection. Voilà bien, chers amis, du fantasme, c’est-à-dire du rêve. Mais les rêves peuvent parfaitement se réaliser. D’abord, ils sont réels puisque nous les vivons, mais ils peuvent parfois trouver ou provenir d’un écho concret de notre vie. Si le monde n’est pas tout à fait sans violence, ce n’est pas qu’il ne peut l’être, mais c’est simplement que la faiblesse de l’humanité ne nous a pas permis d’aller au bout du chemin montré par le Christ. C’est le manque d’amour qui nous est imputable, qui nous empêche de percevoir l’amour divin et la Résurrection comme nous le devrions. Or l’exemple d’amour et d’abnégation donné par le Christ, son message de renoncement à la violence cyclique, qui le conduit jusqu’à la Croix, et par-delà au tombeau ouvert du matin de Pâques, est bien, quant à lui, fantastique dans un deuxième sens, c’est-à-dire tout simplement joyeusement merveilleux et exceptionnel.

C’est parce qu’il est fantastique que ce message doit être diffusé. Et c’est où nous revenons à l’ensemencement et à la moisson. Semer le message évangélique et en récolter les fruits, c’est bien là le travail de l’Église comme « porteuse sociale de ce message ». L’Église comme porteuse sociale du message évangélique, l’Église comme semeuse, ce sont des images qui parlent au passionné d’histoire du protestantisme que je suis. Car en pensant à ceux qui sèment, je ne peux m’empêcher de penser à ces hommes et ces femmes qui ont construit la plupart de nos Églises wallonnes parfois de leurs mains dans le monde tourmenté du XIXe siècle. Ils ont travaillé dur, ils faisaient beaucoup de route après des journées ouvrières harassantes, et ils semaient avec ardeur. Nul doute que parfois les pleurs les aient rejoints, ne fût-ce que par épuisement. Mais dès le XIXe siècle, ils ont aussi récolté, et nos temples se sont si bien emplis qu’il fallut, comme cela a été rappelé à nos visiteurs de la journée Portes ouvertes, en construire deux successifs à Charleroi en l’espace de quelques décennies seulement, le premier se révélant vite trop étroit. Mais ce qu’ils ont semé, nous le récoltons encore aujourd’hui car nos communautés sont les héritières de leur travail. Moi qui suis le descendant d’une de ses familles de verriers et de mineurs venus de Flandre et convertis à Jumet à la fin de l’antépénultième siècle, je sais ce que je dois à mes prédécesseurs dans la foi qui ont semé pour que je puisse, moi, bénéficier de la moisson de la connaissance du fantastique message évangélique.

La question qui vaut le plus est de savoir si nous allons nous aussi être capables de semer pour les siècles qui viennent. Je n’ai jamais pensé qu’il suffisait de sonner aux portes en rue ou d’opérer l’un ou l’autre quelconque rassemblement de protestants, fût-il musical et festif, pour qu’aussitôt le peuple se convertît. Si nos ancêtres dans la foi ont eu du succès, c’est simplement parce qu’ils avaient l’idée claire de l’implication du message de l’Evangile dans leur siècle. Au XIXe siècle, les évangélistes avaient compris que la violence sociale de l’industrialisation pouvait être convertie en une prise de conscience de la valeur de l’Evangile pour dépasser le rapport de force social par l’amour de Dieu.

Qu’avons-nous à dire aujourd’hui à nos contemporains ? Si nous ne nous attardons pas au service des tables, mais si au contraire le fantastique Evangile nous permet de parler aux écorchés de la vie, aux écorchés de la crise économique, mais aussi, par exemple, à ceux qui sont meurtris, et ce n’est qu’un exemple, par la violence routière qui blesse, qui tue et qui endeuille ; si nous pouvons leur dire que ce n’est pas Dieu qui permet cela, comme ils le pensent souvent, mais que c’est au contraire le Christ qui apporte la solution théorique et pratique pour résoudre toutes les formes de violence, alors nous aurons semé et sans délai nous récolterons dans l’allégresse partagée.

Comme l’écrivait voici quelques décennies Paul Guérin dans un ouvrage intitulé La paroisse, pour quoi faire ? , « évangéliser, c’est rendre heureux. Non pas béats puisqu’il faut s’y convertir (…) Evangéliser c’est annoncer le salut, la libération, l’espérance ; c’est dépasser les apparences, illuminer le décor, révéler notre vrai environnement : nous baignons en Dieu. »

Si nous y parvenons, nous aurons fait des convertis et des baptisés.

Amen

Jean-Christian Sombreffe