La parabole des talents

Matth. 25 : 14-30
1 Cor. 12 : 4-7

Parabole des talentsPremier dimanche d’octobre et la paroisse de Charleroi se trouve dans une situation d’entre-deux, car la saison d’activités se met en route, mais la paroisse est dépourvue d’un pasteur attitré. Dans notre tradition d’Église, cela signifie que tous les services seront cependant assurés, mais par un ou plusieurs pasteurs dont ce n’est pas la tâche principale, qui veilleront toutefois à la marche essentielle de la communauté.

Mais, faut-il le répéter ? Une communauté chrétienne, ce n’est pas son pasteur, c’est un ensemble de frères et de sœurs qui vivent de l’Évangile de Jésus-Christ et le font rayonner, à la limite même sans pasteur, comme c’est le cas dans les communautés darbystes. C’est dans cette optique que j’ai voulu centrer la méditation de ce matin sur la parabole des talents, pour qu’elle nous rappelle ce qui est attendu de chacun dans une communauté.

Il y est donc question d’un homme qui va partir, qui appelle ses serviteurs et qui leur confie ce qui lui appartient. Voilà le point de départ de cette parabole.

A partir de là, on rencontre des choses étonnantes : d’abord les sommes ainsi confiées, car un talent, c’est un véritable lingot : valeur plus ou moins 20 ans d’un salaire moyen. Celui qui reçoit 5 talents a donc l’équivalent de 100 ans de salaire devant lui.

Inutile de dire que, par rapport aux situations d’aujourd’hui, nous sommes en pleine fiction : on n’imagine pas un patron qui s’en va, qui abandonne l’outil à ses ouvriers, tout en leur versant à l’avance des dizaines d’années de salaire. Mais nous sommes dans la parabole et Jésus fait un parallèle entre certaines situations où un propriétaire terrien partait vivre ailleurs, tout en comptant bien que ses ouvriers allaient veiller sur ses terres et les faire fructifier, d’une part. Parallèle avec, d’autre part, Jésus qui va s’absenter bientôt et pour longtemps et qui, dans ce temps intermédiaire, confie un véritable trésor à ses disciples. Cette distribution de talents, c’est donc le cadeau royal d’un maître qui s’en va, un cadeau qui exprime toute sa confiance en ceux à qui il remet les talents.

Si mon premier propos insistait sur l’ énormité de ce qui est ainsi confié aux serviteurs, peut-être bien que la première réaction des auditeurs serait de penser : mais qu’est-ce que ça pour un partage ? C’est tellement inéquitable : le premier en reçoit 5 fois plus que le 3ème. C’est vrai, mais c’est aussi tout simplement une réalité à laquelle nous n’échappons pas.

La Déclaration Universelle des Droits de l’Homme a beau affirmer que tous les hommes naissent égaux. Que tous aient les mêmes droits, c’est ce à quoi il faut arriver, mais on n’empêchera pas que certains naissent dans des pays de faibles revenus tandis que d’autres évoluent dans des familles aisées et surtout, au niveau des aptitudes, au niveau des capacités des uns et des autres, il faudra toujours constater combien certains ont des talents innés et que la répartition des talents est bien inégale. Certains sont bourrés de talents comme on dit, d’autres n’ont que peu de capacités à faire valoir.

Jésus, dans sa parabole, ajoute la nuance : à chacun selon sa force, selon sa dynamique (pour serrer de près le mot grec de l’Évangile). Comme quoi, ce n’est pas arbitraire, mais bien pensé. Le maître n’a pas de préférence, mais une même attente envers tous, dosée simplement suivant ce que nous sommes capables de porter. Et tant pis pour celui qui le prend mal : s’il considère seulement ce qu’il a reçu, il doit déjà en être follement reconnaissant et heureux. Mais c’est toujours parce qu’on veut regarder dans l’assiette des autres qu’alors, on se sent jaloux de ne pas avoir la même chose.

Voilà donc le tableau de départ. Mais un jour, le maître revient pour faire les comptes, après bien longtemps.

Premier tableau sur lequel on passe vite : les deux premiers serviteurs ont agi exactement de la même manière, ils ont fait fructifier le capital dans la même proportion et ils reçoivent tous deux la même parole d’approbation de la part du maître. Les deux cas sont examinés l’un après l’autre, très rapidement, avec les mêmes termes à l’exception du chiffre 5 ou 2. Quatre versets au total pour ces deux-là.

Mais sept versets pour le tableau qui passe en revue le cas du 3ème serviteur. C’est donc là-dessus que Jésus veut attirer l’attention. Ce 3ème a agi différemment des deux autres et son cas prend un relief très important.

Ce 3ème serviteur n’a pas de gain à présenter. Il n’est pas pour autant un profiteur, mais son discours va nous apprendre la vérité de ses relations avec son maître : « Je savais que tu es un homme dur ». Il n’a donc pas compris la relation d’amour qui peut exister entre ce maître et ses serviteurs ; il a de son maître une image toute déformée, l’image d’un maître qu’on ne se plaît pas à servir. « Tu moissonnes où tu n’as pas semé », un vrai capitaliste qui profite du travail des autres, en exploiteur. Ce 3ème serviteur lui a refusé sa confiance et n’est plus habité que par la peur. « J’ai eu peur » – Une peur qui l’a inhibé, qui l’a empêché de prendre un quelconque risque avec les biens confiés. Il s’est laissé dominer par un seul souci, celui de pouvoir se justifier en remboursant la somme sans qu’il y manque rien : « Voici, tu as ton bien ».

Et la réponse du maître tombe cinglante : « Mauvais serviteur, paresseux ». Serait-ce que cet homme, imprégné d’une sorte de fatalisme religieux et oriental, croit après tout que Dieu est tout-puissant et donc capable de tout faire tout seul sans le concours des hommes ? Pourquoi se mettre au travail s’il en est ainsi ? Ou bien serait-ce que notre homme ne veut surtout pas prendre de risque ? Car faire quelque chose, c’est toujours risquer. Le danger qui nous menace n’est pas de commettre des erreurs mais de rester inertes.

Et ce maître de continuer en reprenant alors les paroles du serviteur : « Tu savais que je moissonne là où je n’ai pas semé, que j’amasse là où je n’ai pas vanné … » On dirait qu’il l’approuve en reprenant ainsi ses termes, tout de même à l’exception des premiers mots : un homme dur, ça, il ne le reprend pas. De toute façon, cela ne veut pas encore dire qu’il est d’accord avec ce point de vue. mais, même s’il n’y souscrit sans doute pas, il entre simplement dans la logique du serviteur pour faire ressortir que, même ainsi, il aurait dû agir autrement : « Puisque tu croyais que j’étais ainsi, tu aurais dû, d’autant plus, travailler pour moi ! Tu pouvais, au moins, confier mon argent aux banquiers et tu en aurais tiré un intérêt, pas de quoi doubler le capital comme les deux autres, mais un intérêt quand même ».

Et voilà une réflexion qui peut nous étonner doublement : d’abord parce qu’on a pas l’habitude d’entendre Jésus faire la réclame des banques, ensuite parce qu’on se dit qu’ en se défaisant de l’argent auprès d’un banquier, il aurait été tout aussi paresseux qu’en le mettant dans un trou. Mais ce renvoi aux banquiers a ceci d’intéressant, qu’il nous dit encore que le serviteur n’était pas tenu de multiplier ses richesses par ses propres initiatives et par son travail personnel ; il n’était pas livré à lui-même, il pouvait avoir recours à l’aide de gens jugés plus compétents.

Restent alors les conclusions sur lesquelles je ne m’étends pas, qui annoncent la perte de ce 3ème serviteur à qui on enlève même ce qu’il a pour le donner à celui qui en avait déjà reçu le plus au départ. Au passage tout de même, cette conclusion nous apprend que ce que le maître avait confié au départ, c’était cadeau puisqu’il ne le reprend pas, mais le laisse aux deux serviteurs qui ont bien travaillé.
Nous connaissons bien l’existence de cercles vicieux, Jésus aussi : à celui qui n’a pas, on ôtera même ce qu’il a. Mais Jésus ajoute un autre cercle, que j’appellerai gagnant : on donnera à celui qui a et il sera dans l’abondance.

On est forcément dans un cercle ou dans l’autre, mais c’est l’homme qui choisit le cercle dans lequel il prend place. Autrement dit, brise un cercle vicieux pour t’engager dans un cercle gagnant. N’enterre pas tes talents, tu vas t’enterrer par la même occasion. Sans perdre de vue le but premier de l’Église qui est de faire rayonner la parole de Jésus et son Évangile – et c’était certainement une façon pour Jésus de dénoncer l’immobilisme des scribes et des pharisiens – ce rayonnement se fait par la vie d’une communauté où tous ne sont pas nécessairement aptes à être directement les porteurs d’une parole efficace, mais en tout cas où tous peuvent contribuer à différents aspects de la vie communautaire et soutiennent ainsi, indirectement peut-être, le témoignage. C’est toute la vie de la paroisse qui est importante, et pas seulement la parole officiellement prêchée.

Mais voilà, on entend et constate : ce sont toujours les mêmes qui sont actifs. La parabole des talents invite chacun à entrer dans le cercle des gagnants : de la garderie au consistoire, des bricoleurs aux musiciens, des cuistots aux membres de la diaconie, etc …, il y a quantité de services qui peuvent être remplis selon les talents de chacun, selon les capacités de chacun. Mais n’enterrez pas vos talents, c’est le cercle vicieux qu’il faut briser.

Et puis, je vous l’ai dit, à propos du recours aux banquiers, vous pouvez compter sur l’aide des autres qui aideront à mettre en valeur ce que vous êtes prêts à partager/engager. Peut-être faudra-t-il penser à instituer ainsi une banque des talents pour mieux les mettre au service les uns des autres ?

Aujourd’hui, nous nous demanderons donc : qu’ai-je fait des talents que Dieu m’a confiés, petits ou grands ? Ce qui importe, c’est moins le nombre de talents reçus que leur mise en valeur. Fais donc valoir les talents que tu as reçus. Fais-les fructifier au lieu de les cacher en terre, répands-les en travail, en bonté, en prière, en service … pour la cause de Jésus Christ, pour le service des frères et sœurs et pour que tu contribues ainsi à l’édification de la communauté.

Daniel Vanescote