La création

shofarEn septembre (ou octobre selon les années), les juifs célèbrent le Nouvel An, Roch Hachana (« tête de l’année »), anniversaire de la création du monde. A cette occasion, on sonne du chofar (sorte de clairon fabriqué dans la corne du bélier). Cette fête tombe en automne ( en 2016 : du dimanche 2 octobre, au coucher du soleil, jusqu’à la tombée de la nuit, le mardi 4), lors de la récolte des fruits, qui marque la fin de la saison agricole. Notons que, dans le récit de la Création, on insiste sur les arbres fruitiers : « Le Seigneur Dieu planta un jardin au pays d’Eden, pour y mettre l’homme qu’il avait façonné. Il fit pousser du sol toutes sortes d’arbres à l’aspect agréable et aux fruits délicieux. » (Genèse 2.8-9, en français courant)

Depuis 1993, le Conseil Œcuménique des Eglises a fixé un « Temps pour la création » qui va du 1er septembre (premier jour de l’année liturgique dans la tradition orthodoxe) au 4 octobre (jour de la St François d’Assise dans la tradition catholique) : une période où sont encouragées les initiatives en faveur de l’environnement et de son interaction avec la justice et la paix. En 2015, le pape François instituait, lui aussi, une « Journée Mondiale de Prière pour la Sauvegarde de la Création. », le 1er septembre, initiative rejoignant une pratique lancée en 1989 par les Eglises orthodoxes.

Dans la Bible, le récit de la Création (Genèse ch.1 et 2) se trouve dans un ensemble de 5 livres que les juifs appellent Loi, non seulement parce qu’il contient des règles comme les 10 commandements, mais parce qu’il rassemble l’essentiel de la doctrine biblique. A ces 5 livres d’enseignement correspondent 5 livres de prières, les Psaumes. Il y a ainsi des psaumes de la Création, qui rappellent Genèse 1, mais sous forme de louange, comme le Psaume 104, dont nous lirons des extraits tout à l’heure.

Genèse 1-2.4 est un poème qui situe l’homme dans l’univers, à la fois dans son milieu de vie, la terre, dont il est le roi, sans pour autant être supérieur à toute forme de vie dans l’univers, et dans sa relation avec Dieu. En effet, l’homme dépend étroitement d’un être caché, auquel il ressemble, qui peut le guider et lui apporter l’immortalité qu’il ne possède pas :

  • Le guider tout d’abord : dans le récit, Dieu donne l’exemple à l’homme du travail et aussi du repos, ce que rappelle un des 10 commandements : « Tu as 6 jours pour travailler et faire tout ton ouvrage. Le septième jour, tu ne feras aucun travail. Car en 6 jours j’ai créé le ciel, la terre, la mer et tout ce qu’ils contiennent, puis je me suis reposé le septième jour. » (Exode 20.9-11)
  • Lui accorder l’immortalité : celle-ci est représentée par l’arbre de la vie : « Il mit au centre du jardin l’arbre de la vie. … Si l’homme mangeait les fruits de l’arbre de la vie, il vivrait indéfiniment. » (Genèse 2.9 ; 3.22). L’immortalité, momentanément perdue par la Chute est rendue par la croix et la résurrection du Christ.

Le développement de la nature par étapes décrit dans la Genèse s’accorde dans les grandes lignes avec les découvertes de la science concernant les origines de la vie. Genèse 1.2 parle de la terre entièrement recouverte d’eau au début. Après le retrait de l’eau, les plantes poussent et ensuite apparaissent les animaux dont les premiers sont les poissons et, en dernier lieu, l’homme.

Les différents éléments du texte correspondent aux conditions de vie de l’homme : les ténèbres et la lumière, la nuit et le jour, destinés au repos et à l’activité. Les astres éclairent la terre et fixent le calendrier : le soleil détermine les saisons, l’année et la lune les mois. Les nuages apportent la pluie pour arroser les plantes, qui nourriront les animaux et l’homme, lequel est d’abord et surtout végétarien. Les animaux domestiques, donc les plus utiles à l ‘homme, sont cités avant les animaux sauvages. Les oiseaux égaient la nature et l’homme de leurs chants semblables aux anges qui voyagent dans le ciel et chantent les louanges de Dieu. Ils sont un exemple pour les croyants.

Au ch. 2, le 7ème jour est réservé à Dieu, il est destiné à réfléchir sur la manière de le servir : cultiver la nature comme un jardin et la garder en bon état (Genèse 2.15), nommer les êtres vivants en reconnaissant leur rôle d’aide et de compagnie (Genèse 2.18-20). L’histoire de Noé va montrer que l’homme doit protéger les animaux (Noé les a recueillis dans l’arche) et que ceux-ci peuvent aider l’homme (le corbeau et la colombe ont servi à annoncer la décrue des eaux du déluge et l’apparition de la terre ferme).

Pour illustrer tout ce qui précède, je vous invite à savourer la poésie du Psaume 104 si bien rendue par la version en Français Courant.

« L’océan couvrait la terre comme un manteau, ses eaux montaient jusqu’au sommet des montagnes. Mais tu les menaças, elles s’enfuirent ; au bruit de ton tonnerre elles prirent la fuite grimpant sur les sommets, descendant les vallées jusqu’à la place que tu leur avais fixée. Tu leur traça une limite à ne pas franchir, pour qu’elles ne viennent plus couvrir la terre. Tu conduis l’eau des sources dans les ruisseaux, elle se faufile entre les montagnes. Tous les animaux peuvent venir y boire, et l’âne sauvage y calme sa soif. A proximité les oiseaux ont leurs nids, et chantent à l’abri du feuillage.

Du haut du ciel tu fais pleuvoir sur les montagnes ; tu veilles à ce que la terre ait assez d’eau. C’est toi qui fais pousser l’herbe pour le bétail, et les plantes que les hommes cultivent. Ainsi la terre leur fournit de quoi vivre : du vin pour les rendre gais, de l’huile pour leur donner bonne mine, du pain pour leur rendre des forces.
Même les plus grands arbres ont l’eau qu’il leur faut, les cèdres du Liban, plantés par toi, Seigneur. Les petits oiseaux viennent y faire leur nid, et la cigogne s’installe sur les cyprès. Les hautes montagnes sont pour les bouquetins et les rochers servent de refuge aux damans (petit mammifère herbivore de la taille d’un lapin).
Tu as fait la lune pour fixer les dates, et le soleil, qui sait l’heure de son coucher. Tu envoies l’obscurité, voici la nuit, l’heure où s’animent les bêtes des forêts. Les jeunes lions rugissent après leur proie, ils réclament de toi leur nourriture. Quand le soleil se lève, ils se retirent et vont se coucher dans leur tanière. L’homme sort alors de chez lui pour aller au travail et peiner jusqu’au soir.
Seigneur qu’elle est vaste ton activité ! Avec quel art tu as tout fait ! La terre est remplie de ce que tu as créé. Voici la mer, immense, à perte de vue. Tant d’êtres s’y meuvent, petits et grands, qu’on ne peut les compter. Des navires la parcourent en tous sens, et aussi le dragon marin, le Léviatan, tu l’as inventé pour jouer avec lui. »
(Psaume 104.6-26)

Poursuivons avec deux commentaires talmudiques sur Genèse 1.1 :

  • alphabet-hebreu-bethOn pose la question : Pourquoi le récit de la Création commence-t-il par la lettre B, beth en hébreu ? Cette lettre signifie « maison » (comme dans Bethléhem, « maison du pain ») et représente une maison, schématiquement et de profil (la porte se trouve à gauche, car on lit de droite à gauche) : … Cela aurait un sens symbolique, celui d’ indiquer le but de la Création : créer une « maison » (lieu de vie confortable) pour l’homme. Le récit aurait donc un sens écologique (l’écologie étant la science du milieu, de l’habitat, de environnement – « éco » signifie « maison » en grec).
  • D’autre part, la lettre B ou beth représente aussi le chiffre 2, qui symbolise la relation. Cela signifierait que l’essentiel du récit se trouve dans la relation et plus précisément dans le verset qui affirme : « Il n’est pas bon que l’homme soit seul » (Genèse 2.18). Ce verset peut faire allusion non seulement aux animaux dans une certaine mesure, au couple, à la famille, à la société, à la mission (Jésus envoyait ses disciples par 2, les grands prophètes Elie et Elisée, avaient un assistant), mais concerne aussi la relation avec Dieu qui a créé l’homme à sa ressemblance (Genèse 1.27).

Cette coopération entre tous les êtres vivants présente la création comme une entreprise destinée à déboucher sur « un nouveau ciel et une nouvelle terre », le Royaume de Dieu. « L’acte créateur (…) suscite et génère un mouvement, il fait bouger les choses et les êtres… (La création) tourne notre regard en avant, vers ce qui va venir. La foi biblique (… ) oriente vers un avenir mobilisateur ». (Extraits d’un texte du professeur André Gounelle sur la création).

« Dieu se caractérise par une activité incessante, une énergie toujours à l’œuvre, et nullement par un calme olympien et une sérénité béate. S’il lui arrive de se reposer, c’est pour la durée d’un sabbat. Inlassablement, il travaille : « Jésus leur répondit (suite à une guérison le jour du Sabbat) : – mon Père travaille continuellement et moi je suis aussi à l’œuvre. » Jean 5, 17. Il nous appelle à faire reculer le chaos et avancer le cosmos (monde harmonieux). Il ne réussit pas toujours. Ainsi avec le déluge, (et malheureusement en bien d’autres occasions) le chaos reconquiert et submerge des territoires où le cosmos s’était établi. Dieu ne se décourage pas. Il recommence après le meurtre d’Abel, après le déluge, après le veau d’or, après les désobéissances d’Israël, après la crucifixion de Jésus, après les trahisons des églises. Il n’abandonne pas son œuvre de création, il la reprend, la relance : il suscite Noé, Abraham, Moïse, les prophètes. Il ressuscite Jésus. Il inspire des conversions et des réformes. » (Ibidem)

« Même difficile et douloureuse, la vie représente un don merveilleux qui nous a été fait, et non pas une fatalité malheureuse qui pèserait sur nous et nous écraserait. En dépit de ce qui l’abîme et le défigure, le monde, œuvre de Dieu, est foncièrement, fondamentalement bon. Le croyant, le spirituel ne s’en détourne pas ; il s’intéresse à lui , s’y engage, s’en occupe. Le monde (…) mérite qu’on l’admire sans l’adorer et qu’on en prenne soin. Les réalités terrestres et naturelles sont des créatures, au même titre que l’être humain, que le croyant est appelé à respecter et à servir. « Tu aimeras ton prochain », lui est-il dit. Prochain ne désigne pas seulement le semblable, celui qui, comme moi, est un être humain. Prochain veut dire ce qui est proche, ce qui nous entoure, l’air, l’eau, les végétaux, les animaux, les montagnes et les plaines. » (Ibidem)

Ne restons pas indifférents à une telle invitation.

Jean CHARLES

« Il est temps, il est même grand temps de percevoir la création. La création soupire (Romains 8, 22) (…). Des phénomènes comme la déforestation, l’épuisement des ressources naturelles, la pollution de l’eau et de l’air, qui – malheureusement – ne nous surprennent même plus, laissent des blessures profondes (…). Nous, les chrétiens, avons à prendre soin de la terre en l’aimant comme l’aime Dieu, le Tout Autre, l’Invisible, qui chérit et sous-tend toute vie. »

« Ensemble, en compagnie d’autres partisans, nous pouvons faire de notre Terre malade, malmenée et meurtrie, un nouveau foyer de Dieu fertile et accueillant, où chacun peut vivre. »

— Citations de S.Fuite, Président du Synode, extraites de sa prédication du 7/09/2015, apportée à la cathédrale Saints Michel et Gudule de Bruxelles lors de la célébration œcuménique du Dimanche de la Création