Rapports entre générations au sein de l’Eglise

Culte préparé par le groupe AVEC (jeunes adultes) le dimanche 19 juin 2011.

Psaume 51, 12-14
Exode 3, 1-5
Luc 15, 11-32

Chers amis,

Le thème que nous avons fixé pour notre culte de ce dimanche préparé par le groupe AVEC est celui des rapports entre les générations. Il ne s’agit pas, bien sûr, d’avoir ici un débat de nature politique sur les rapports entre les différents âges de la vie et les mesures à prendre dans la société afin de les améliorer. Il s’agit plutôt de répondre, où à tous le moins de trouver des pistes de réflexion, à la lumière de la parole de Dieu, sur quelques interrogations qui sont, me semble-t-il, à la base de la création du groupe AVEC, bien que j’en parle avec prudence puisque je n’ai pas assisté à sa création. Pour autant, il me semble avoir perçu que le but de ce groupe au sein de notre communauté est de réfléchir à la place des jeunes adultes au sein de notre communauté, mais cette place ne peut bien sûr être pensée qu’en rapport et au milieu de la communauté dans son ensemble. Au-delà, il y a la question de la pérennité du témoignage de la foi, et spécialement de la foi réformée, car, il faut bien le noter, nos communautés prennent de l’âge, ce n’est pas faire injure à aucun de vous de le dire ; au contraire, l’âge est signe de sagesse, d’un plus grand recul sur le témoignage, mais c’est aussi, s’il s’agit d’une moyenne, le signe que nos communautés se renouvellent trop peu, et donc peut-être que bien des jeunes adultes qui ont suivi parfois l’école du dimanche et le catéchisme, s’éloignent de la foi, ou, à tous le moins de sa pratique active. Il nous revient donc de chercher humblement des signes que Dieu nous donne pour réfléchir à ces questions, et nous nous sommes proposés de le faire en méditant notamment la parabole du fils prodigue sous cet angle.

Un commentateur écrit à propos du fils cadet il choisit de quitter la maison paternelle pour vivre sa vie et se vautrer dans le péché. Voilà une interprétation bien sèche, bien convenue, et bien pratique : il y aurait là comme dans les romans où les films une situation d’équilibre, ici perturbée par le péché, et puis à la fin, l’éloignement du péché et le retour à l’équilibre.

La réalité me semble plus complexe. Si nous reprenons le texte attentivement, il n’est pas si sûr que ce soit vraiment la problématique du péché qui soit au centre : en effet, si le terme « péché » apparaît bel et bien dans toutes nos traductions françaises, il n’a pas en grec la connotation moralisatrice que nous lui connaissons dans la langue française : il désigne le fait de faire fausse route, de se tromper de chemin, de faire une erreur, mais pas nécessairement de commettre une faute. Par ailleurs, si le verset 30 fait dire au fils aîné que le cadet a vécu la débauche, les exégètes avertis notent qu’il s’agit certainement d’une exagération du frère qui se fait de suite reprendre par le père, lequel souligne qu’il s’agit toujours de son frère, et qu’il aurait été inspiré, lui aussi, de fêter son retour. Enfin, quant au terme employé au verset 13 pour qualifier la conduite du fils cadet, il est volontairement vague et désigne une vie désordonnée, misérable, sans plus, comme si l’évangéliste voulait éviter de se transformer en procureur à l’encontre de ce fils.

Ceci posé, revenons-en aux motivations profondes et aux actes des différents protagonistes de cette parabole.

Je crois … aujourd’hui

Nous ne sommes pas seuls,
Nous vivons dans le monde que Dieu a créé.
Nous croyons en Dieu qui a créé et qui continue à créer,
qui est venu en Jésus, Parole faite chair,
pour réconcilier et renouveler,
qui travaille en nous et parmi nous
par son Esprit.
Nous avons confiance en Dieu.
Nous sommes appelés à constituer l’Eglise :
pour célébrer la présence de Dieu,
pour vivre avec respect dans la création,
pour aimer et servir les autres,
pour rechercher la justice et résister au mal,
pour proclamer Jésus, crucifié et ressuscité,
Notre Juge et notre espérance.
Dans la vie, dans la mort, dans la vie au-delà de la mort,
Dieu est avec nous.
Nous ne sommes pas seuls.
Grâces soient rendues à Dieu. Amen.

Eglise Unie du Canada, 1980

La demande du fils de bénéficier de sa part d’héritage n’est pas tout à fait déplacée puisque le livre du Siracide l’évoque au chapitre 33, mais elle est formulée, il faut bien le dire, de façon sèche ; le fils ne demande pas sa part avec une formule de politesse, il s’agit d’une demande formulée comme un ordre, en insistant sur le fait que ces biens doivent lui revenir. Le but du fils est de faire la fête, de bien vivre, en se rendant compte tardivement, une fois seulement les fonds épuisés, que sa vie de noceur est terminée. Nous ne savons pas quel âge à ce fils, mais il me fait penser à la manière dont les psychologues définissent les adolescents : une période de la vie où l’on ne s’embarrasse guère de précautions, où l’on aime vivre dans l’instant, profiter de la vie, vivre sans temps mort et jouir sans entraves comme les jeunes de mai 68 l’aurait exprimé. Je veux souligner le caractère dépourvu de recul, de perspective, de ce fils, il ne se rend pas compte que ses réserves s’épuisent lentement, il ne se rend compte de son indigence qu’une fois qu’il eut tout dépensé, nous dit le texte, et il faut encore qu’une famine s’ajoute à l’affaire, pour qu’il se voit obligé d’accomplir une première étape dans son changement de vie.

Il faut même qu’il soit maltraité par l’employeur qui lui offre un travail ingrat pour qu’enfin, il fasse un peu d’introspection, l’Evangile nous dit littéralement qu’il rentre en lui-même et qu’il s’aperçoive que les ouvriers de son père sont bien mieux traités. Je ne m’attarde pas sur la fin de la parabole, que chacun connaît et qui montre l’ouverture d’esprit du père, son absence de rancœur, sa joie de retrouver son fils ; je veux juste souligner que le texte nous parle de la pitié du père pour son fils, et aussi la dimension vraiment exubérante de la fête préparée où l’on se pare, où l’on mange et où l’on danse tant et si bien que cela s’entend de loin, sur la route, alors que le fils qui était aux champs n’est encore que sur le chemin.

Si nous effectuons à notre tour un peu d’introspection, que veut nous dire ce texte ? Manifestement, que la manière d’aborder la vie qui est propre à l’adolescence n’est visiblement pas celle qui peut faire sens pour toute la vie, car vivre dans l’instant, qui est toujours fuyant, c’est ne pas vivre, et car aussi vivre pour la fête et le plaisir uniquement, c’est se condamner à une vie dépourvue de sens tant les souffrances de notre vie, même si elles sont peu nombreuses prennent en gravité le pas sur la superficialité de la fête. C’est peut-être pour cette raison que l’évangile évoque un sentiment que nos diverses traditions françaises, là aussi unanimes, traduisent par la pitié. Je n’aime guère plus cette idée de la langue française car elle comprend une part de condescendance et donc de méchanceté : celui ou celle dont nous avons pitié, c’est le pauvre type, c’est la pauvre fille, c’est celui ou celle qui n’a pas réussi, selon nous, sa vie, c’est celui qui ne nous vaut pas et à qui nous sommes contents de ne pas ressembler. En ce sens, s’apitoyer, c’est se faire plaisir sur le dos des autres. Là n’est pas du tout l’émotion du père à l’endroit de son fils prodigue : il faudrait plutôt la traduire en indiquant que ce père a été ému aux entrailles. Voilà l’émotion vraie, la première sans doute que nous ressentons dans la vie lorsque bébé, nous sommes insécurisés et que nos entrailles nous font mal et qu’elles nous obligent à crier pour faire sortir cette émotion. L’émotion des entrailles nous suit toute la vie, il suffit d’une petite contrariété parfois, et l’on se surprend encore, quel que soit notre âge, à ressentir des douleurs au ventre. Le père n’a pas pitié, il est ému au plus profond de lui-même, de la manière la plus spontanée qui le ramène au petit enfant qu’il a été, de retrouver son fils qui a mûri, qui a compris que la vie n’était pas faite de dilettantisme, ou alors qu’elle en perdait sa saveur. On dit souvent que ce fils a été prodigue, même si ce terme n’est pas dans la Bible ; or prodigue désigne en français, nous indique le dictionnaire, le fait d’effectuer des dépenses excessives ou inconsidérées. Que les dépenses de ce fils aient été excessives, il nous est difficile de le juger, chacun plaçant le curseur des dépenses raisonnables là où il l’entend ; en revanche, elles sont bien in-considérées car elles ne sont sous-tendues par aucune réflexion sur le sens de la vie, mais simplement motivées par l’instinct de la fête. C’est la réflexion, la re-considération rétrospective que le Fils fait de la vie qu’il vient de mener qui l’éloigne de cet instinct et qui émeut son père.

Si nous nous détachons un peu plus encore du texte pour revenir à notre questionnement de départ, nous pouvons voir aussi, dans une certaine mesure, et avec certaines limites sans doute, dans cette parabole, une forme d’allégorie de la situation de nos paroisses. Les jeunes quittent souvent le cocon de l’assemblée paroissiale pour se plonger dans des études qui se combinent souvent aussi avec le divertissement. Lorsque la volonté de rentrer en soi et d’approfondir sa foi, ou de la redécouvrir, se fait à nouveau jour et que l’envie existe de revenir parmi les frères et les sœurs en Christ, l’évangile nous enjoint de les accueillir comme le père a accueilli le fils retrouvé.

Venus aujourd’hui su Sud et du Nord,   ♪
dire mon ami « Nos liens sont très forts »
Egaux et unis, nos vies se colorent     ♫
de soleil qui brillent en-dehors.
Car ces liens d’amour, durent toujours   ♯  ♫
Si nous tissons l’amour      ♪
jour après jour.       ♪

Daniel PRISS « Tissons des liens »

Je n’ai pas une grande affection, vous le savez, pour la question du péché, qui nous conduit trop souvent à bien des débats stériles, sauf si nous le considérons sous l’angle de l’erreur d’interprétation, qui nous amène à une réflexion plus profonde sur le sens : quel est le sens que nous voulons pour notre vie ; quel est le sens que nous propose l’évangile, comment pouvons nous le vivre non plus au loin, avec ceux qui nous ressemblent qui seraient jeunes comme nous, ou âgés comme nous, mais au près, ici, maintenant, dans notre communauté, nous qui sommes ici de tous âges, mais qui voulons vivre ensemble, quelles que soient nos différences, la joie du message d’amour évangélique, comme la famille du fils prodigue a vécu ensemble une fête de rassemblement et de réconciliation ?

Le texte de l’Exode nous renforce dans cette perspective, il nous indique dans le premier verset : Moïse faisait paître le troupeau de son beau-père Jéthro, et on peut donc discerner qu’il y ait là une sorte de solidarité et de confort familial.

Moïse est interpellé par un buisson en feu. Un buisson qui brûle, cela n’a rien d’extraordinaire sous certaines latitudes en période de sécheresse ; ce qui est extraordinaire, c’est que le buisson brûle et qu’il ne se consume pas. Voilà encore une allégorie, celle de la grâce de Dieu à notre endroit, qui quel que soit notre âge, peut parfois nous dévorer, voire dévorer nos entrailles, mais qui, malgré parfois nos impressions contraires momentanées, ne disparaît pas.

Quel que soit la situation démographique et sociologique de nos paroisses, la proportion des différentes classes d’âge, et malgré les inquiétudes qui peuvent se manifester parfois sur la pérennité de notre témoignage, la grâce de Dieu ne s’éloignera pas de nous, tout comme la pensée du père pour son fils fêtard ne s’était jamais éloignée.

La joie d’être sauvés nous est rendue,
Nous savons que l’Esprit généreux nous soutient toujours et partout ;
Mais ce que nous ne devons jamais oublier, quel que soit notre âge, notre condition, notre place dans la société et dans l’Eglise, ici et au-delà, c’est que comme l’affirme le psalmiste, c’est Dieu qui crée et enracine en nous un cœur et un esprit neuf et pur ; nous n’y sommes pour rien.

Gloire lui soit rendue !

Amen.

Jean-Christian SOMBREFFE