Rosalie (prénom d’emprunt), 68 ans, a connu une vie digne des romans les plus noirs de Dickens. Maltraitée par sa mère qui mangeait de la tarte devant sa petite fille sans lui en donner, elle atterrit chez sa grand-mère pour un temps. Rien qu’une robe pour s’habiller, peu à manger et pourtant le plus dur est à venir… Le séjour en orphelinat où les bonnes sœurs se réservaient les chocolats récoltés par une opération de type Arc-en-Ciel… Vous pensez, vous, que les enfants ne s’en rendaient pas compte ? Faux sur toute la ligne.
Comme toute jeune fille, Rosalie aspire au mariage et épouse l’heureux élu. Il faut croire que la guigne s’acharne sur certains, car la voici abandonnée avec trois jeunes enfants, démunie de tout, en mauvaise santé, problèmes cardiaques qui nécessitent des hospitalisations, des médicaments… On fuit l’hôpital oppressant en signant des décharges. Qui s’occuperait des enfants ?
Au bout du rouleau, Rosalie décide d’en finir, prend un aller simple pour la mer, avec les enfants, pour aller se noyer et en finir avec la peine, la faim et la misère.
Mais les enfants refusent cette mort et maman Courage repart dans l’autre sens, avec les problèmes sur le dos.
On voudrait que cela finisse bien et d’une certaine façon, oui, la situation s’améliore : Rosalie est attirée dans une communauté protestante qui la dépanne, la soutient. De la nourriture, la garde des enfants quand maman est malade, des dons anonymes. Il faut apprendre à continuer à vivre dans la précarité, gérer très bien le peu reçu, jongler avec les centimes, surtout rester digne, propre, attentive aux enfants qui poursuivent les études.
Il faut aussi essuyer certaines indélicatesses de ceux qui donnent (le moins cher possible et parfois de la nourriture déjà entamée) et qui, devant elle, trient les bonnes courses pour eux et les moins bonnes pour elle…
Quand on est pauvre, il faut pouvoir se contenter de ce que ces « braves chrétiens » donnent, n’est-ce pas ?
Et aujourd’hui, que la vieillesse approche, que les enfants sont élevés et qu’elle pourrait jouir de la petite maison presque insalubre qu’elle est arrivée à payer malgré tout, la catastrophe frappe : maladie orpheline pour la fille dans la trentaine, dont toutes les artères se bouchent, cancer du sein pour la maman. Cancer détecté trop tard et que Rosalie ne veut pas qu’on opère… Cinq ans que cela dure ! Pas assez d’argent pour se payer des pansements, cela ne fait rien, on mettra des mouchoirs sur les plaies, des dizaines de mouchoirs qu’il faut lessiver.
C’est que cela saigne un cancer du sein qui prospère…
Je n’invente rien. Cela se passe en Belgique. Rosalie est une amie, nous parlons souvent ensemble. J’admire sa foi inébranlable en Dieu, sa confiance inépuisable. Elle rend témoignage de ce que Dieu a fait pour elle.
J’admire aussi sa manière de gérer sa petite pension, sa façon de donner la dîme de ses revenus, alors qu’elle a si peu et je pense à la veuve de l’Evangile…
J’admire sa lucidité, sa manière de vivre son cancer qu’elle gère avec ses moyens à elle, dans la dignité.
Et nous rions, car elle rit, mes amis, de bon cœur et moi aussi, sans remords, car chaque rire éloigne un peu la maladie.
La mort ne l’effraie pas puisqu’elle ira auprès de son Seigneur.
Rosalie m’a appris aussi combien les humains peuvent manquer de délicatesse dans leurs rapports avec un malade : coup de fils trop longs, qui n’écoutent même pas la réponse à la question classique « comment allez-vous ? ». Jérémiades de bonnes femmes enrhumées et plaintes pour des bobos racontées à celle qui est en train de mourir à petit feu, grignotée par ce fichu crabe.
On pourrait se demander à quoi toute cette souffrance sert ? Et où est Dieu dans tout ça ?
Pour Rosalie, il n’y a pas l’ombre d’un doute : Dieu l’accompagne chaque jour, l’a comblée de bénédictions et la comble encore. Elle connaît la valeur d’une amitié vraie. Elle a découvert des gens remarquables, inattendus. Elle a pris la mesure de l’humanité avec tout ce que cela comporte d’extraordinaire et de pitoyable.
Et nous, si nous pouvons, au contact de personnes comme elle, apprendre l’écoute, la tendresse, la générosité, le silence. Les recevoir comme elles sont, dans toute leur richesse et leur fragilité. Alors, la maladie et la mort servent à quelque chose qui nous touche au plus profond de notre être.
Yvette Vanescote