Parlons donc du mur et des murs.
« Relève tes murs, Jérusalem ! » C’est ce cri qu’on a entendu bien des fois au retour de l’exil de Babylone. Oui, ils étaient revenus sur la terre de leurs ancêtres, mais la ville était rasée, il n’en subsistait que des amas de pierres. Tout était à reconstruire. Et ce fut la tâche d’Esdras et de Néhémie d’exhorter ce peuple à reprendre courage pour la reconstruction. Dans la vie d’alors, avec les invasions incessantes des grandes armées ou les razzias de petites bandes de pillards, chaque ville un peu importante devait se doter d’une enceinte fortifiée pour la défendre contre les forces hostiles, signe de crainte, signe qu’on ne pouvait avoir confiance et qu’il fallait à tout moment être prêts à se défendre.
Dans le peuple d’Israël, on parlera d’un autre mur, spirituel celui-là, et on l’appellera plus volontiers clôture. Une barrière a toujours séparé les juifs de leurs voisins et le mur, là, est religieux. L’expression juive parle de la clôture de la torah, clôture constituée par l’enseignement religieux et, principalement, les commandements. Le mur marque alors la volonté d’être séparés des autres, ce qui culminera aussi dans le parti des pharisiens (mot qui signifie justement ‘séparé’).
Cette clôture est devenue mur de haine, elle a fait d’Israël un peuple trop à part, objet de méfiance et de mépris. Mais, quand le Christ paraît, les données sont bouleversées. Là où Israël se voulait séparé, le Christ veut les peuples réunis ; là où une barrière quasi infranchissable demeurait entre des peuples différents, le Christ apporte la volonté de les réunir. Il est notre paix, lui qui des deux peuples n’en a fait qu’un en détruisant le mur de séparation, l’inimitié qui les divisait et en abolissant dans sa propre chair la loi avec ses prescriptions et ses commandements. En établissant ainsi la paix, il a voulu créer en lui-même, avec les deux peuples, une humanité nouvelle et, après les avoir réunis en un seul corps, il les a réconciliés l’un et l’autre avec Dieu, par sa croix, sur laquelle il a fait mourir leur inimitié (Eph. 2 : 14-16).
L’apôtre Paul parle ici du Christ rassemblant juifs et non-juifs d’origine qui se retrouvent en une même communauté de foi, réunis autour de la personne du Christ. Mais, visiblement, Paul a été trop optimiste dans son envolée, pleine d’espérance certes, mais ces choses qui auraient pu être ne sont pas concrètement advenues ; il reste quelque chose d’inaccompli, alors que la vision de Paul faisait miroiter les conséquences tellement positives qui auraient dû en résulter. N’empêche que le mur est renversé et le chemin ouvert.
Il y a 25 ans, un autre mur a été renversé. L’Église était, en Allemagne de l’Est, pratiquement la seule organisation un peu contestataire qui était autorisée. Dans son église Saint-Nicolas de Leipzig, le pasteur Christian Führer (quel nom pour un pasteur ! mais il n’y était pour rien) voulut organiser en février 1988 une réunion sur le thème : Vivre et rester en RDA. Il avait invité 50 personnes. Il en vint 600 ! Des personnes qui ensuite renforcèrent considérablement les réunions de prière du lundi soir. Et ce ne sont pas les contrôles policiers qui firent diminuer le flot des participants à ces réunions dès lors centrées sur le Sermon sur la montagne et le refus de la violence. De ces réunions, les participants sortaient avec des fleurs et des bougies allumées. Jusqu’à la grande manifestation pacifique du 9 octobre 1989 où 70.000 personnes marchèrent autour de la ville sous ces seuls slogans : Wir sind das Volk. Kein Gewalt. (Nous sommes le peuple. Pas de violence). Un mois après, le mur s’ouvrait, comme par enchantement. Plus tard, un général de la Stasi dirait : Nous étions prêts à affronter tous les types de soulèvement, mais pas des prières et des bougies.
La frontière s’est ouverte, des pans du mur ont été renversés et les gens sont tombés dans les bras les uns des autres. Que des causes de guerre s’évanouissent ainsi, que des frontières s’ouvrent, qu’un mur soit renversé et que l’Église ait activement contribué à cette avancée, nous ne pouvons que nous en réjouir. Quand le mur est renversé pour la rencontre, pour des retrouvailles, comme signe d’amitié et de réconciliation, pas de doute, c’est bien dans le sens du Christ que les choses ont bougé.
Mais des murs à renverser, il en reste et on en construit de nouveaux. Il nous faut avancer avec l’espoir qu’un jour, ils tomberont aussi, comme les murs de Jéricho, comme le mur de l’apartheid. Même si on en construit entre USA et Mexique, entre Israël et Palestine, entre Inde et Bangladesh, entre Maroc et l’enclave espagnole de Ceuta…
Un jour peut-être, ceux-là pourront raconter comme la pasteure Carmen Jäger d’Eisenach : « Il s’est passé beaucoup de choses en ces journées d’automne 89. Nous n’y croyions pas : pouvoir circuler sans avoir à donner de raison. Nous pouvions nous rencontrer quand nous voulions, sans formulaire, sans chicane à la frontière. Était-ce vrai que personne ne serait plus arrêté ni abattu pour avoir voulu franchir le mur ? Qu’il en était fini de la séparation ? Combien j’étais heureuse dans le train qui me ramenait à la maison, que ma famille allait connaître une autre Allemagne. Ce qu’il en adviendrait n’était pas encore clair, mais on ne serait plus arrêté ni abattu. »
Combien de murs encore à renverser, parfois jusque dans nos rencontres personnelles ! Il est notre paix, lui qui des deux n’en a fait qu’un… Le Christ a donné l’impulsion initiale. Que tous ceux qui portent son nom œuvrent donc à leur tour à la disparition de tous les murs de séparation, remplaçant l’inimitié et la haine par l’amitié et la paix que procure le Christ.
Pasteur Daniel Vanescote