Le travail c’est la santé !?

« Le travail c’est la santé » dit l’adage populaire.

« Rien faire c’est la conserver. Les prisonniers du boulot font pas de vieux os ! » ajoute le facétieux Henri Salvador.

A l’approche de la belle saison, propice aux travaux de jardin et de maison, comme à l’approche des examens pour les plus jeunes, nous vous proposons de réexaminer la question du travail et particulièrement du travail manuel, à la lumière de la Bible.

On sait que le mot « travail » a une connotation péjorative au départ. Il vient d’un nom latin qui désigne un instrument de supplice: tripalium, « instrument de torture formé de trois pieux ». Le mot « travail » au XIIè siècle signifie « tourment, souffrance ».

Nous trouvons quelque chose de semblable dans la Genèse en rapport avec la Chute ou expulsion (temporaire) du paradis des premiers humains : Genèse 3, 17b-18a, 19a (version Segond traditionnelle) :

« L’Éternel Dieu dit à l’homme: C’est à force de peine que tu tireras du sol ta nourriture tous les jours de ta vie, il te produira des épines et des ronces. C’est à la sueur de ton visage que tu mangeras du pain. »

Chez les anciens Grecs et Romains, le travail manuel est réservé à l’esclave. Le loisir par contre est l’apanage de l’homme libre. Le mot « école » vient d’ailleurs d’un terme grec qui signifie « loisir ». Seuls les hommes libres pouvaient s’instruire car ils disposaient de leur temps. Faut-il préciser que cette conception repose sur un type de société essentiellement guerrier.

La Bible et la culture juive, au contraire, vont donner ses lettres de noblesse au travail manuel, au travail de la terre et à l’artisanat,et après elles, le monachisme chrétien, puis les corporations médiévales et ensuite la révolution industrielle, née dans le monde anglo-saxon, et résultant des progrès rapides de la science et de la technique.

Selon le talmud, « Une bénédiction ne resplendit que sur le travail des mains de l’homme » (Le Talmud par A.Cohen, chez Payot 1982, p.247). Affirmation justifiée d’abord par la tora (pentateuque), comme il se doit.

En effet, Genèse 2,15-16 nous montre que l’homme a la charge de cultiver le jardin, afin de pouvoir en manger les fruits:

« L’Éternel Dieu prit l’homme, et le plaça dans le jardin d’Eden pour le cultiver et pour le garder. L’Éternel Dieu donna cet ordre à l’homme: Tu pourras manger de tous les arbres du jardin. »

De même Exode 25,8 nous apprend que les Israélites ont dû faire quelque chose, construire un sanctuaire pour que l’Éternel habite au milieu d’eux:

« Ils me feront un sanctuaire, et j’habiterai au milieu d’eux. »

En Exode 20,9,11, Dieu prescrit à son peuple de travailler six jours et de faire tout son ouvrage, ce dont il a donné lui-même l’exemple en créant le monde en six jours. Cette tâche est d’ordre matériel, puisque le travail de sanctification (étude, prière) est réservé au septième jour, conjointement au repos:

« Tu travailleras 6 jours, et tu feras tout ton ouvrage. Car en 6 jours, l’Éternel a fait les cieux, la terre et la mer, et tout ce qui y est contenu, et il s’est reposé le 7è jour: c’est pourquoi l’Éternel a béni le jour du repos et l’a sanctifié. »

Ecclésiaste 3,22a fait du travail la principale condition du bonheur terrestre :

« J’ai vu qu’il n’y a rien de mieux pour l’homme que de se réjouir de ses œuvres: c’est là sa part. »

Ecclésiaste 5,11a le confirme, même si ce travail rapporte peu :

« Le sommeil du travailleur est doux, qu’il ait peu ou beaucoup à manger. »

Ecclésiaste 9,10a invite à faire le maximum, selon ses moyens :

« Tout ce que ta main trouve à faire avec ta force, fais-le. »

D’après le talmud, l’oisiveté tue, elle provoque un dérèglement moral et même mental . Il y a toujours quelque chose à faire, à améliorer : « si quelqu’un est inemployé, que doit-il faire ? S’il a une cour ou un champ laissé à l’abandon ou délabré, qu’il y travaille » (Le Talmud par A.Cohen chez Payot, 1982, p.247). C’est ce que suggère le texte déjà cité d’Exode 20,9 :

« travailler 6 jours (travail professionnel) et faire tout son ouvrage (travail domestique) ».

Dans la même ligne, Proverbes 31 nous brosse un tableau idéalisé de ce qui est attendu de la femme dans la société juive. Le travail manuel y occupe une place importante, alors que le personnage imaginé évolue dans un milieu bourgeois (elle a des servantes, elle achète un champ) :
versets 13, 15-20, 22a, 24 :

« Elle se procure de la laine et du lin , et travaille d’une main joyeuse.

Elle se lève lorsqu’il est encore nuit, et elle donne sa nourriture à sa maison et la tâche à ses servantes. Elle pense à un champ et elle l’acquiert. Du fruit de son travail elle plante une vigne.

Elle ceint de force ses reins, et elle affermit ses bras. Elle sent que ce qu’elle gagne est bon.

Sa lampe ne s’éteint point pendant la nuit. Elle met la main à la quenouille, et ses doigts tiennent le fuseau. Elle tend la main au malheureux, elle tend la main à l’indigent.

Elle se fait des couvertures. Elle fait des chemises, et les vend, et elle livre des ceintures au marchand. »

Il y a de l’hyperbole dans tout cela. C’est un procédé littéraire, comme la parabole, qui est une exagération volontaire, une forme d’insistance, que Jésus lui-même a utilisée (notamment quand il a dit en Luc 14,26:

« Si quelqu’un vient à moi, et s’il ne hait pas son père, sa mère, sa femme, ses enfants, ses frères et ses sœurs, et même sa propre vie, il ne peut être mon disciple. »

Les rabbins de l’époque talmudique (de l’Antiquité au Moyen-Age) étaient en majorité d’humbles artisans. L’apôtre Paul (ancien pharisien et docteur de la Loi) et Jésus lui-même étaient dans le cas :

Actes 18,1-3: « Après cela, Paul partit d’Athènes, et se rendit à Corinthe. Il y trouva un Juif nommé Aquilas, originaire du Pont (sur la Mer Noire), récemment arrivé d’Italie avec sa femme Priscille, parce que Claude avait ordonné à tous les Juifs de sortir de Rome. Il se lia avec eux. Et, comme il avait le même métier, il demeura chez eux et y travailla : ils étaient faiseurs de tentes. »

Matthieu 13,55a: « N’est-ce pas le fils du charpentier ? N’est-ce pas Marie qui est sa mère ? »

et Marc 6,3a : « N’est-ce pas le charpentier, le fils de Marie? »

Notons que le talmud valorise en premier lieu le travail de la terre et ensuite l’artisanat, comme le font encore actuellement les Amishs (anabaptistes suisses et alsaciens du 17è siècle, dont certains émigrèrent aux États-Unis au 19è siècle pour constituer des communautés rurales relativement autarciques).

Pour en finir avec le talmud, citons une anecdote montrant qu’il faut travailler à tout âge selon ses forces et pas seulement en fonction de ses besoins personnels : dans « Le Talmud », ouvrage déjà cité, p.248 :

« L’empereur Adrien passait sur le rivage près de Tibériade. Il vit là un vieillard qui creusait la terre pour planter des arbres. « Vieux, lui dit-il, si tu avais travaillé étant plus jeune, tu n’en serais pas réduit à peiner ainsi dans ton grand âge. – J’ai travaillé aussi bien dans ma jeunesse que maintenant, répondit le vieillard, et le Seigneur du ciel a agi envers moi selon son bon plaisir. » Adrien lui demanda quel était son âge, et apprit qu’il avait 100 ans. « 100 ans, et tu en es encore à creuser la terre pour planter des arbres ! Crois-tu que tu mangeras de leurs fruits ? – Si j’en suis digne, j’en mangerai. Sinon, de même que mes pères ont travaillé pour moi, je travaille pour mes enfants. »

Dans le cadre de l’Église, le travail manuel trouve aussi sa place, notamment dans l’activité diaconale.

On connaît la parabole de Jésus dans laquelle il met en scène un Samaritain apportant des soins à un blessé sans se préoccuper de son origine sociale (en Luc 10). Jésus donne lui-même l’exemple du service en lavant les pieds de ses disciples. Et la première Église de Jérusalem crée le ministère de diacre pour assurer le service d’entraide communautaire ( Actes 6) notamment pour préparer les repas fraternels ou agapes et pour distribuer de l’aide aux veuves.

Ainsi, en raccourci, nous pourrions dire que la journée diaconale c’est un peu la fête du travail de l’Église !

En terminant, n’oublions pas qu’en utilisant des paraboles et en donnant son propre exemple, Jésus propose non une règle de conduite, mais une ligne de conduite, laissant à ses disciples la liberté de la suivre à leur rythme, en prenant leurs responsabilités.

Jean CHARLES