Vivre sa foi dans le monde d’aujourd’hui

HeriTexte biblique :Luc 10 : 21-37. (version TOB).

Il était 22h30 ce mercredi 22 Avril dernier quand une femme de 29 ans,mère de 4 enfants entre dans une station de métro située au sud de Lille afin de regagner son domicile, à Tourcoing. Un jeune homme (de 20 ans) la repère.

«Dès qu’il m’a vue, il est venu vers moi directement… il a commencé à me bloquer … il m’a touchée!», raconte la jeune femme, très émue. «J’avais peur. Il m’a bloqué… il faisait des gestes bizarres avec sa bouteille de vodka….

«J’ai crié à l’aide, j’ai demandé du secours». Mais les autres passagers, qui attendent eux aussi le métro, ne disent rien. «Je me suis mise près d’un homme, il n’a rien voulu savoir. Il ne m’a pas aidée».

L’agresseur suit sa victime dans la rame. Les autres voyageurs préfèrent eux entrer dans la voiture suivante. «Les gens sont partis dans l’autre rame tout au fond. Ils m’ont laissée toute seule et ils me regardaient me faire agresser!», dénonce-t-elle. «Il y avait beaucoup de gens, je suis une femme, c’est un homme, ils auraient dû me défendre, ou l’écarter… C’est tout ce que je demandais, je ne demandais pas autre chose, juste qu’on me donne un coup de main.» poursuit-elle en sanglotant…

Voilà un fait divers, récent, comme on peut en entendre régulièrement dans les médias, et certains d’entre nous ont peut-être déjà vécu une expérience similaire…

En effet, nous sommes souvent confrontés à un phénomène caractérisé par une indifférence totale vis-à-vis de l’autre ou par un manque d’intérêt à l’égard d’une situation. Depuis une dizaine d’années , ce phénomène est reconnu comme un fait social en Europe. D’après les sociologues, c’est la conséquence de la crise économique qui nous frappe – et aussi la conséquence de l’individualisme (le chacun pour soit) qui mine la société actuelle…

Revenons au texte biblique que nous venons de lire…
En lisant cette parabole , posons – nous la question si le fait d’être sensible aux souffrances de l’autre (que nous nommons « compassion ») est la seule démarche pour avoir un rapport juste à l’autre, l’autre souffrant .
Soulignons ici que le récit qui vient d’être lu est une parabole , c’est-à-dire quelque chose qui n’a pas existé – c’est une histoire que le Christ a inventé ou imaginée pour démontrer une « chose » …
Cette parabole peut être lue dans un premier temps comme le récit d’un homme qui tombe . Aucune autre indication ne nous est donné sur lui. Ce silence sur son identité nous invite à fixer notre regard – non pas sur le Pourquoi de l’agression- mais sur cet Homme à terre – cet homme qui souffre et va mourir peut-être .
Comme le prêtre (le sacrificateur) , le lévite et le samaritain , nous passons devant lui…

Maintenant je vous invite à suivre pendant quelques instants la route du Samaritain :
Il est en voyage . Ce n’est vraisemblablement pas pour faire du tourisme. Cela ressemble à mon avis à un voyage d’affaires. Or , malgré ses obligations, il s’arrête . Plus exactement, c’est l’émotion – qui l’arrête. Il voit et il est pris de pitié . Là : je souligne que du sentiment naît l’action . Puis il le soigne tout de suite  – le monte sur sa propre monture , c’est-à-dire que lui va marcher à pied – et il va payer le prix du soin ou de la guérison . A ce moment, on peut penser qu’il va rester au chevet du blessé . Non , il repart. Ce n’est pas pour autant que le problème est réglé pour lui . Il donne ses consignes . Il annonce à l’aubergiste qu’il repassera, et il s’est engagé à prendre en charge ce que ce dernier aura donné en plus . Il est – par conséquent – sûr que le blessé est en bonnes mains et sera soigné…

Au départ de la parabole, il y a une question : QUI EST MON PROCHAIN ? Le Christ ne répond pas à cette question, il en pose une autre (comme il le fait souvent dans le nouveau testament) : « Qui s’est montré le prochain de l’autre ?. » .
Il met le légiste en situation de se demander quel homme il désirerai rencontrer si lui-même avait été agressé par des brigands ou des voyous . Jésus, en l’invitant à s’identifier à l’homme blessé, lui fait expérimenter ce qu’est la compassion …
Il faut donc comme ce samaritain : compatir et agir – pour aider l’autre à se relever : voilà le rôle d’un disciple !

Mais nous sommes dans une époque complexe : difficile pour agir . Nous sommes à une époque où la compassion et la pitié peuvent paraître suspectes . On se méfie car la compassion et/ou la pitié peuvent être un frein pour l’autre d’assumer sa responsabilité dans la vie . On ne sait plus parfois quelle attitude il faut prendre dans cette société où « violences » et « charité » sont entremêlées.
N’y a-t-il pas derrière le désir de donner , une pure affirmation de soi où l’autre n’est finalement qu’un objet ?? ( je vous avoue que je me posais la question il y a plus d’une vingtaine d’années quand je commençais à exercer mon métier d’éducateur à la santé , et que je m’occupais des personnes dépendantes de médicaments ou de produits illicites durs : les toxicomanes durs ).
S’il s’agit de rester libre , il faut aussi prendre en compte le soupçon sur la compassion .

Il y a effectivement une ambiguïté des réactions affectives face à la souffrance . Cela ne peut d’ailleurs pas être autrement . L’autre souffrant me renvoie à la possibilité que j’ai de souffrir, ce dont j’ai peur, et la compassion peut être lue comme une fuite de la fuite de la souffrance , et par conséquent comme une fuite de ma finitude .
Elle peut être aussi lue comme un désir de dominer l’autre en état de faiblesse . (dans certain pays du tiers monde et /ou dans certaines communes d’Europe – et même dans certaines communautés chrétiennes, on appelle cette attitude « la charité politique » ou le clientélisme) .
La compassion me semble, en effet, participer à un mouvement qui n’a pas de fin : y a -t-il une limite à l’amour de l’autre ? Ne doit-on pas aller toujours plus loin ?? Il y a nécessairement un moment où nous nous éloignons de l’autre souffrant , où nous ressentons le besoin de nous retrouver , c’est-à-dire d’exister par nous-mêmes .
Si la compassion est un mouvement sans fin, le désir d’exister apparaît alors comme un refus de compatir !

Le malaise que la compassion suscite naît donc aussi d’une apparente – mais profonde opposition entre désir de vivre et compassion .
Mais avons-nous compris ce qu’est la compassion (pitié, la charité) telle que le Christ nous l’enseigne ??… Retournons au texte .

Nous avons insisté tout à l’heure sur l’attitude du bon Samaritain qui ne reste pas au chevet du blessé . Il repart . On peut comprendre ce départ de diverses manières :…

D’abord , symboliquement , s’il était resté sur place en attendant la guérison , sa compassion aurait été une fuite de ses obligations propres .
La compassion (la charité) telle que le Christ nous enseigne ne peut pas être une fuite de notre vie ou de notre responsabilité de base ou quotidienne .

Ensuite s’il était resté, il aurait obligé le blessé à lui témoigner de la reconnaissance . Lorsqu’il reviendra de son voyage , celui-ci sera peut-être parti et ils ne se reverront vraisemblablement plus .
Il y a un élément de gratuité dans la compassion ( ou charité) et par là-même un dépassement de l’affectivité première de la reconnaissance .

Enfin, en laissant à l’aubergiste le soin de guérir, non seulement il met une distance , non seulement il laisse un espace de liberté au blessé, mais il reconnaît en plus ses limites ! . il a sa vie à vivre et ses obligations à remplir . Parce qu’il n’aura pas agi par obligation, on peut penser qu’un tel homme ne sera pas dégouté d’aider son prochain une autre fois .

Bref la charité (la compassion) ne va pas sans l’humilité – la compassion ne va pas sans la reconnaissance de ses limites propres …

Accompagner la souffrance de l’autre ou la difficulté de l’autre , c’est donc bien évidemment accueillir son affectivité comme fondamentalement bonne . Nous ne pouvons pas d’emblée jeter le soupçon sur les mouvements intérieurs qui nous portent vers l’autre .
Pour prendre les images de la parabole, on ne peut avoir un rapport juste à l’autre blessé ou affligé si l’on ne sait pas s’arrêter et si l »on ne sait pas se dégager au moins pour un temps des nécessités extérieures .
Mais s’il faut savoir s’arrêter, il faut aussi savoir repartir . La compassion trouve son achèvement dans ce double mouvement . On ne peut compatir – on ne peut aimer sans le sens de ses devoirs propres, sans le goût de la liberté et de l’autre – et sans humilité .

Le « qui est mon prochain » introduit le récit du Bon samaritain . Mais cette question n’est pas première . Une autre la précède , plus originaire, plus mystérieuse , elle est la suivant  « Maître que dois-je faire pour avoir en héritage la vie éternelle ? » – Telle est la problématique de fond de cette parabole .
L’enjeu c’est le salut ! . Salut pour qui ?? Pour le « samaritain-l’étranger .» qui a sauvé le blessé (le juif)?

Le fait que le Christ invite le légiste à s’identifier à l’homme blessé nous laisse penser que le salut n’est pas d’abord pour le samaritain , mais pour le blessé ! En fait dans le texte, le Samaritain est « l’origine » du salut pour le blessé ou le délaissé . Il est le signe de l’Amour de Dieu pour celui qui souffre . Jamais le blessé ne pourra saisir en lui ce mouvement intérieur de l’Amour de Dieu, si un signe extérieur ne lui en n’est pas donné !!
On peut légitimement imaginer que l’étranger méprisé par les juifs – c’est à dire le samaritain – a fait cette expérience du salut , cette expérience de la compassion humaine signe de la compassion de Dieu et qu’il la transmet à son tour !.

Pour terminer , il me semble que cette parabole nous invite à la fois à nous reconnaître blessés et désireux de l’Amour de Dieu et surtout à devenir un instrument du salut pour le blessé !!
Le blessé : il y en a sûrement dans notre communauté , dans nos familles , parmi nos collègues de travail , peut être nos voisins . Oui j’ajoute qu’il y a des blessés dans l’ombre . Comment les reconnaître ? Chacun a sa méthode . Qui dit communauté dit communication …
Beaucoup de blessés dans la vie quotidienne n’ont pas l’habitude de s’exposer au bord de la rue avec leurs plaies !! .

Que faire alors ?
Comment pratiquer la «  solidarité » dans une société ou dans une communauté où des blessés sont là sans montrer leurs plaies ? En tant que Travailleur dans le social – je n’ai pas de réponse toute faite . Je dis seulement que liberté et Discrétion ne sont pas contradictoires .

Le thème choisi par le groupe AVEC pour ce culte est « VIVRE SA FOI DANS LE MONDE D’AUJOURD’HUI ». Tout au début je vous ai raconté une histoire vraie et il y en beaucoup ces derniers temps …
Même si le monde et le contexte varie en fonction des mœurs, us et coutumes et de la technologie , la Parole de Dieu – l’instruction du Christ notre Seigneur – ne change pas : Vivre sa foi , concrètement , c’est servir l’autre. Vivre sa foi c’est « Aimer-Agir-Voir -écouter-comprendre » – l’autre – (AVEC) !!

Vivre sa foi  : c’est servir l’autre comme le Christ a servi à son époque : les infirmes , les handicapés, la prostituée, les malades physiques et mentaux- et même les biens portants ;
Vivre sa foi « c’est servir l’autre »
avec ses talents,
avec ses limites,
en toute humilité –
tout en respectant la liberté de l’autre –
surtout en lui faisant confiance –
pour le remettre debout !…

Amen

Hery Rasoamanana