Que ton règne vienne

Prédication apportée au temple le dimanche 4 juillet par Monsieur Jean-Louis Stilmant

Marc 4 : 26-29

gray spacecraft taking off during daytime

Voici ce que Robert Jungk, un journaliste autrichien, rapportait dans son livre, devenu célèbre, « Le futur est déjà commencé » paru en 1953. Il s’agit d’un extrait du rapport d’un spécialiste américain de la médecine aérospatiale :
« Si nous considérons ses prochaines missions de vol, à savoir le franchissement du mur du son et, plus tard, les voyages dans l’espace, l’homme est, d’un point de vue biologique, une construction ratée. Le corps donné par le créateur, avec sa circulation sanguine sensible et son système nerveux encore plus sensible n’est plus en mesure de faire face aux possibilités ouvertes par l’ingéniosité technique de l’homme. La contribution que Dieu a apportée à notre existence (en nous fournissant le corps dans lequel nous évoluons) est désormais dépassée par la contribution de l’homme et de son intelligence en matière de technologie. » Fin de citation.

Selon cet expert, aujourd’hui, c’est l’homme qui, pratiquement, apporte la plus grande contribution dans la multinationale « Création ». Nous pourrions même affirmer qu’il dispose de la majorité des actions. Le partenaire divin a été, lui, poussé de côté et se trouve au pied du mur de sorte que la voix humaine dispose à l’heure actuelle de plus de poids que celle du créateur. Cette pensée, cette prétention date, je le rappelle de … 1953.

Et la suite logique ? Et bien, toujours selon l’auteur, il faut que l’homme soit biologiquement reformaté. Le modèle de création obsolète de l’organisme humain doit être modernisé. La biométrie va engendrer un homme nouveau, l’homme de l’espace, à partir des conceptions depuis longtemps dépassées du créateur, ce seigneur vieillissant et quelque peu à la traine. Actuellement, on parle de transhumanisme pour décrire cette idée d’améliorer le corps et l’esprit de l’homme.

Pourquoi cette petite anecdote ? Parce qu’à travers elle se manifeste un sentiment qui nous envahit peu ou prou même s’il n’est pas toujours exprimé avec autant de force que dans l’ouvrage cité. Quel est-il ? Nous sommes convaincus de la faisabilité de toute chose. Tout est devenu possible. Tout est à notre portée ! Que ne sommes-nous pas devenus capables de réaliser sur le plan technique ? Observer à des distances phénoménales, provoquer la chute de la pluie, créer des bébés éprouvettes, influer sur les gênes et modifier l’être humain avant même sa naissance, dès sa conception, maîtriser et domestiquer les forces de la nature, remplacer des organes défectueux et prolonger, certains espèrent même indéfiniment, la vie humaine.

Qu’a ce genre de considération à voir dans une prédication ? me direz-vous.
Et bien, elle y a sa place dans la mesure où elle a un impact sur notre âme. Car celui qui croit que tout est possible, que chaque idée conçue peut trouver un accomplissement et une réalisation, est aussi celui qui désire tout réaliser, qui veut absolument s‘impliquer dans tout ce qui constitue le fonctionnement et la vie de la planète. Et celui qui veut tout prendre en main dans sa vie se retrouve vite en demeure de gérer de plus en plus de choses, de situations. Il ne connait plus la tranquillité mais se retrouve assez rapidement dans un état d’hyperactivité. De gestionnaire de notre existence, nous devenons vite esclave de notre agenda car nous sommes convaincus que sans nous, rien ne peut plus fonctionner, parce que nous nous considérons comme absolument indispensables dans le fonctionnement de cette entreprise « Création ». Avec la conséquence que nous ne parvenons plus à sortir de nos soucis quotidiens, du stress et des questions qui surgissent dans nos têtes, jour après jour : vais-je réussir mes examens ? que va-t-il advenir de nos enfants ? quid si la conjecture économique continue de déraper ? etc, etc.

Il semblerait que nous ayons oublié que c’est Dieu qui habille les fleurs des champs et nourrit les oiseaux du ciel. Et nous avons tendance à considérer que ce « co-actionnaire » soit devenu incompétent ou improductif. A force de nous faire du souci, de nous croire responsables de tout, nous avons perdu de vue celui qui veille sur nous et nous n’avons plus personne sur qui nous décharger de nos fardeaux et de nos soucis. Nous sommes convaincus que sans nous plus rien ne va.

Nous pourrions penser que tout ce que nous venons de dire ne concerne que ce qu’on nomme l’art de la vie ou n’est qu’une question d’hygiène interne de l’être humain. Mais il s’agit en réalité de tout autre chose et notre parabole le précise bien : c’est Dieu qui, dans un silence assourdissant, assure la croissance de sa semence et ce miracle se réalise sans aucune intervention humaine, d’une manière vieillotte, à l’ancienne, oserai-je dire, dans la mesure il réalise ses plans malgré toutes les agitations humaines.

Notre erreur n’est pas de vouloir travailler dans le champ mais d’y vouloir tout faire, ce qui accapare tout notre temps au point d’oublier de réfléchir à ce que nous faisons et de ne plus savoir discerner quelle est notre responsabilité et notre part de travail en regard de la partie divine. Ceci est valable tant sur le plan de la gestion de la création que de l’avancement du Royaume de Dieu.

Que nous dit notre texte de l’évangile de ce matin ?

Voici un fermier qui ensemence son champ. Lorsqu’il a terminé cette tâche, il retourne à sa ferme, nourrit son bétail, répare et entretient le matériel agricole qui en a besoin, va au supermarché et le soir se met au lit, avec la satisfaction du travail accompli. Et le lendemain, il se lève à l’aurore et reprend son travail. Pendant qu’il fait tout cela, il se fait que, sans aucune intervention de sa part, la semence pousse : de la graine, sort un brin d’herbe, puis apparait un épi qui se charge de grains.

C’est un réconfort indicible de savoir qu’à côté des bêtises de l’homme, à côté de ses plans et de ses spéculations, à côté de son activisme et de ses échecs, il y a toujours la poursuite d’un événement complètement différent, càd Dieu laisse pousser ses graines et arrive à ses fins.
Cette assurance nous a été donnée par l’Eternel après le déluge, lorsque Noé et sa famille sont sortis de l’arche : Tant que la terre subsistera, les semailles et la moisson, le froid et la chaleur, l’été et l’hiver, le jour et la nuit ne cesseront pas. (Gen 8 : 22)

La semence qui pousse toute seule est l’œuvre, l’agir de Dieu et pas le nôtre. Ce qui ne signifie pas que nous devons nous abstenir afin de ne pas gêner la nature et que là où l’homme n’est pas, tout va bien. Une telle pensée serait décourageante et fausse. Car tel n’est pas non plus le sens de la citation ci-dessus. Les semailles et les moissons, été et hiver, jour et nuit ne doivent pas être compris comme l’expression de la loi de la nature mais comme le signe, l’assurance que notre Père Céleste est à l’œuvre. C’est lui qui est à la manœuvre. Le point central apaisant au milieu de toute cette agitation déroutante est la fidélité de Dieu.
Aussi insensés que nous, les humains, soyons avec notre idée de pouvoir intervenir dans tous les domaines, aussi fous que nous soyons capables de mettre tout sens dessus-dessous, nous ne pourrons pas détruire la création de Dieu. Non pas parce qu’elle est solide et résistante, cela, elle ne l’est assurément pas, mais parce que l’amour de Dieu est indéfectible, parce que sa fidélité est infaillible. Tout ce que nous faisons, entreprenons, tous les égarements et fausses bonnes idées que nous cherchons à mettre en place envers et contre tout n’empêchent pas et n’empêcheront jamais Dieu de poursuivre ses plans et d’atteindre les buts qu’il s’est fixés. Il sait ce qu’il fait et il fait ce qu’il veut.
Je suis, quant à moi, convaincu qu’un jour, devant le trône de Dieu, lorsque nous pourrons enfin embrasser du regard toute l’histoire de l’humanité, nous ne pourrons que confesser : « Si nous avions su et cru vraiment en la fidélité de Dieu, nous ne nous serions pas donnés tout ce mal mais aurions pris la vie avec beaucoup plus de décontraction».

Considérons plutôt la manière de vivre de Jésus, le Jésus qui dort dans la barque, en pleine tempête.
Tout le sort du monde repose sur lui. Il s’est incarné et est venu sur terre. Il s’est trouvé si proche de grandes cités comme Rome, Athènes, Corinthe, Ephèse dont la misère morale et la détresse étaient à portée de voix, où ses prédications auraient pu changer la vie de milliers de personnes. Il aurait été probablement encore plus efficace que l’apôtre Paul qui se plaignait auprès de Dieu d’être limité dans son ministère par une infirmité. Bien que ce champ de mission soupirait et aspirait après le médecin, Christ a pris le temps de se consacrer aux individus autour de lui. Il s’est rendu dans le salon des collecteurs d’impôt, auprès des veuves et des prostituées, se préoccupant de l’âme de ses voisins, pas de celle des dirigeants, des princes, des figures-clés, celle dont l’éventuelle conversion aurait pu faire basculer, pourrions-nous croire, toute une région, voire tout un pays.
Nous pourrions penser qu’il a raté sa mission, qu’il a mal perçu le plan à suivre, la stratégie à appliquer tant ceux dont il s’est soucié paraissaient insignifiants. Non, Jésus savait que le plus important était le petit à côté de lui de sorte qu’il a pu, en toute confiance, laisser l’important, le gros morceau entre les mains de son Père. Car Rome, Athènes, Corinthe, Ephèse, et je pourrai ajouter, Charleroi n’ont pas été oubliées mais le Christ savait qu’elles faisaient partie d’une grande mosaïque dont le maître d’œuvre est l’Eternel. Christ savait que le temps repose entre les mains de Dieu. Il savait qu’en lui, pas de précipitation mais la paix. Car la fidélité de Dieu se déploie tel un arc en ciel sur le monde et lui, le Fils n’avait pas pour mission de le déployer mais simplement de marcher dessous.

Jésus n’était pas non plus une personne soucieuse de sa publicité personnelle. Cela se voit surtout au travers de sa vie de prière et du souci constant qui était le sien de garder le contact avec son Père et de faire, en toutes circonstances, la volonté de celui qui l’avait envoyé. Il ne veut pas recevoir la gloire pour lui mais redonne tout au Père. Il est intéressant de considérer tous les moments de prières du Christ rapportés dans les évangiles : Il prie lors de son baptême, il prie après avoir accompli des miracles, il prie avant chaque événement important de son ministère, il prie pour ses disciples afin que leur foi ne défaille pas. Il prie au moment de la souffrance.
Un verset illustre très bien cette attitude : dans Lc 5: 15-16 , nous trouvons écrit: sa renommée se répandait de plus en plus et les gens venaient en foule pour l’entendre et être guéris de leurs maladies. Et lui, il se retirait dans les déserts et priait.

Oui mais … comment sortir de cette sorte de fébrilité ? Comme être capable de mettre en œuvre ce lâcher-prise? De laisser la place à l’agir de Dieu. Car nous sommes convaincus que Dieu sait mieux que nous le quand et le comment mais voilà, nous sommes aussi convaincus qu’il nous envoie pour travailler dans son champ. Il me semble que nous ne le pourrons que lorsque nous aurons appris à laisser à Dieu la croissance de cette graine dans notre propre vie. Lui remettre la direction de toute chose dans notre vie de chrétien. La recette d’un pasteur : lorsque nous rencontrons un moment de ralentissement de nos activités dans une journée, au lieu de plonger sur notre agenda ou de consulter notre messagerie informatique pour encore se lancer dans la réalisation de la tâche suivante, simplement dire : « Gloire soit au Père et au Fils et au Saint-Esprit qui étaient au commencement, maintenant et à toujours, pour les siècles des siècles. »

Si important que soit notre rôle, nous n’avons pas à nous imaginer que le Royaume de Dieu nous appartient et que sa victoire sera la nôtre. Le Royaume sera toujours la mystérieuse œuvre créatrice de Dieu. Il est le Maitre de la moisson. Mais c’est aussi un encouragement. Si lent et si timide que soit le développement de ce Royaume, l’issue est entre les mains sûres du créateur. Les hommes peuvent donc prier avec confiance et patience : « Que ton règne vienne ! » Amen