Un dimanche d’août, dimanche de vacances pour le pasteur titulaire et de service pour mon pasteur retraité de mari. Le culte se déroule sans anicroche jusqu’au moment de la Cène. Les petits napperons qui cachent pudiquement les espèces, réservent une surprise à l’officiant : pas de pain. Oups, il faut adapter la liturgie avec sang froid, ce qui est prestement accompli par l’officiant chevronné.
Immédiatement, j’ai pensé : nous voilà en communion avec ceux qui crèvent de faim à travers le monde. Ceux pour qui le pain quotidien, le riz, le manioc, n’importe quoi à manger, n’est pas assuré et reste une lutte de chaque jour.
Enfants des rues fouillant les tas de détritus, mendiant de Charleroi visitant la poubelle quasi en face du temple. Crève-cœur pour les bien nourris, les bien nippés, bien lavés, bien logés dont je suis.
Une Cène sans pain. Cela me rappelle encore ces mineurs, emprisonnés dans la mine par un coup de grisou, craignant d’y perdre la vie et célébrant la Cène avec les moyens du bord : les tartines du « briquet » et le café du thermos. Devant la mort, les traditions deviennent détail, seuls les gestes, les paroles, la foi pure et nue, subsistent. Tout le reste est aboli. Qu’importe si le sang du Christ est symbolisé par du café, au demeurant un tonique !
Une Cène sans pain, contraste avec la multiplication des pains. Personne n’avait de pain à partager et pourtant c’est jour de marché à Charleroi, le dimanche. On aurait pu convier le marchand de pains marocains à faire office d’enfant aux cinq pains et deux poissons.
Impossible, le temps faisait défaut. Qui aurait attendu qu’on courre le chercher dans la rue voisine ?
Une Cène sans pain, d’une densité rare, comme si ce manque provoquait une ferveur compensatoire, une communion plus profonde, plus intense. Le train-train habituel était rompu et chacun redécouvrait le sens de ce repas, grâce au manque, grâce à la rupture de la routine.
Et si nous réfléchissions plus loin, à nos façons de prendre et de donner la Cène.
Un plateau qui circule et où chacun se sert, image, pour moi, d’une société individualiste du chacun pour soi.
Des tout petits morceaux de pains, comme si on avait peur de cette nourriture, comme s’il fallait avoir vite fini de mâcher avant que la coupe n’arrive.
Le symbole si riche de la miche de pain qui est rompue et non cette demi mouillette pour des œufs à la coque. Eh non, pas de brioche, est-ce vraiment dans l’esprit du jeudi saint ?
Le pain donné par le pasteur ? Pas mal, assez clérical néanmoins, mais lorsqu’il vous regarde dans les yeux et vous dit : « le corps du Christ donné pour nous », cela remue les tripes et soulève un cœur plein de reconnaissance.
Ma manière préférée : le pain rompu par chacun et donné au voisin, soulignant la communion horizontale entre tous les participants.
Et pourquoi pas varier, en expliquant le pourquoi et le comment et créer un renouvellement de l’attention ? Toute mère de famille avisée sait qu’il faut changer les présentations si elle veut que sa famille mange de bon appétit.
Ne me faites pas dire ce que je n’ai pas dit : pas tous les dimanches, naturellement, ou toutes les fois, c’est selon.
Et nous, comment venons-nous à la Cène ? Par habitude ? Par peur du jugement des autres si nous nous abstenons ? Sommes-nous affamés du Christ ou bien rassasiés de tout. En demande ou en contentement de soi ? En péager pardonné ou en pharisien sûr de son fait ?
Ou, pourquoi ne nous approchons-nous pas de la table ? Pas faim ? Pas soif ? Pas envie de faire le pas ?
Autre ?
Chacun sait ce qu’il vit dans le fond de son cœur et Christ nous aime tous, dans le cercle ou en dehors.
Une Cène sans pain. Je vous le dis, une Cène extra ordinaire.
Yvette Vanescote