Pérégrinations

Chemin-de-Saint-Jacques-de-Compostelle-4Vous allez rire de moi, vous qui me connaissez : j’ai toujours rêvé de faire le chemin de Saint-Jacques de Compostelle. Je ne sais pas où j’aurais trouvé le courage et la force de réaliser cet exploit. Toujours est-il que cela restera maintenant du domaine de l’impossible, vu mon âge et ma condition physique.
Nous avons visité Saint-Jacques, son seuil usé jusqu’à la corde, par les milliers de pas des pèlerins.
Je respecte la foi de ceux qui ont parcouru ces sentes, dangereuses à l’époque. Ils l’ont fait pour toutes sortes de raisons. Je reste songeuse à la vue de la cohue de touristes et de croyants parcourant le tour du chœur de l’église : un mélange de foi pure, de crédulité sans esprit critique, de curiosité historique. Tout cela n’est pas très concentré et donne une impression de foire touristico-religieuse.

Au fond, ce qui m’intéresse dans ce pèlerinage à Saint Jacques, c’est plus le chemin qui y conduit que le but atteint.
Le but ne me parle pas beaucoup, en tant que parpaillote, je ne « marche » pas dans les histoires de reliques et autres. Qu’un saint soit enterré à tel endroit ou à un autre ne suscite aucun écho en moi. Ce qui m’intéresse, c’est sa vie, ses actions et son témoignage.
Balise Saint JacquesEt ce chemin, parcouru seul ou en groupe, d’étape en étape, au cœur de la nature, dans le silence ou la rencontre, à l’image de ce que devrait être notre vie : un aller-retour entre méditation et intérêt pour le prochain. Une marche longue, comme la vie, avec des difficultés et des passages plus aisés… Je le parcours dans ma tête, puisque le temps des « exploits » est passé.

Déjà, dans le désert, le peuple d’Israël a fait l’expérience d’une marche longue et difficile, à la merci de la soif et de la faim, mise à l’épreuve de la foi en Dieu, même pour la subsistance de chaque jour, apprentissage de la solidarité et de l’obéissance, école de simplicité, de frugalité, de recentrage sur l’essentiel.
Ce temps du désert est resté une référence, ensuite, pour les prophètes qui, à la vue des errements et désobéissances des Israélites, les exhortaient à quitter les tentations liées à la sédentarité et au confort. Temps du désert, de la marche, temps idéalisé, sans aucun doute, temps étalon selon lequel mesurer la fidélité de ce peuple souvent rebelle.

Il est vrai que lorsqu’on s’installe trop bien dans le matérialisme apparaissent rapidement l’égoïsme, la cupidité, l’amour de l’argent, l’oubli des autres, l’amour de la jouissance pour elle-même. Les bornes morales ont tendance à s’éloigner, à s’effacer. On vit sous le règne du « tout de suite », du « toujours plus ».
L’hospitalité et la générosité des pauvres m’émeuvent toujours, sous toutes les latitudes.
Et je me rappelle, avec une nostalgie certaine, le temps où les pasteurs eux-mêmes vivaient à la limite de la pauvreté, mais connaissaient la solidarité, le partage entre collègues…
Je sais qu’il ne faut idéaliser ni les temps de disette, ni le temps du désert : tout n’y était pas parfait, mais nous étions riches d’amitié, de fraternité, même si des problèmes surgissaient.

N’empêche… Chacun chez soi, dans son petit nid douillet qu’on a peine à quitter, sa doudoune, ses pantoufles intellectuelles, sa consommation effrénée, ses peurs d’abandonner un bien, un lieu, une habitude, un acquis, un droit, tout cela construit une société impitoyable, dure à vivre pour les plus faibles, pour les plus démunis.

Si nous pouvions, en 2013, retrouver le sens de la mise en marche et l’esprit du pèlerin, qui doit obligatoirement se délester pour avancer, redécouvrir le partage qui est vital dans le désert, nous bâtirions un monde plus juste, plus solidaire, plus heureux finalement.
Et si nous nous y mettions ?
En avant !
Avec l’aide de Dieu.

Yvette Vanescote