Priez sans cesse

Priere enfantI Thessaloniciens 5 : 17

Une image d’Épinal : une enfant est agenouillée, mains jointes, les yeux fermés : elle prie !

Reprenons ces 3 composantes de l’attitude de prière. Lorsque nous voulons prier, oui, nous fermons les yeux… mais l’esprit, le cœur, l’âme restent bien ouverts aux réalités de la condition humaine dans notre entourage et jusque dans son étendue planétaire.

Peut-être nous arrive-t-il de nous mettre à genoux dans une attitude d’humble supplication, mais c’est pour mieux se lever et participer ensuite à l’œuvre de justice, de paix, d’amour dont notre prière a porté le cri auprès du Seigneur.

Les mains de celui qui prie sont jointes, symbolisant peut-être l’élan vers Dieu, la conviction que Dieu nous vienne en aide. Mais ces mains, nous allons les rouvrir pour les joindre à celles d’autres chrétiens et d’autres hommes et femmes de bonne volonté : elles en seront plus utiles, plus efficaces, plus fortes.

C’est que la prière, telle qu’on en a l’image, telle qu’on se la représente le plus couramment nous est devenue quasi impossible. On pourra dire : l’homme de notre temps ne sait plus prier et, plus souvent encore il n’en a ni l’envie ni le besoin parce qu’il ne trouve pas en lui la source profonde de la prière. Et le philosophe protestant Jacques Ellul d’ajouter : je le sais, je le connais bien cet homme : c’est moi !

Aujourd’hui la prière est menacée. Il y a à cela bien des raisons, la 1ère étant sans doute le regard désabusé : il y a 2000 ans que l’Église prie, que les couvents prient, que les chrétiens prient ; 2000 ans qu’à tout instant, d’à peu près tous les points du globe montent des flots de prières au nom de Jésus-Christ et il ne semble pas que ces torrents d’oraisons aient beaucoup changé la face du monde ni le cœur des gens. Il ne semble donc pas que ces prières aient été très efficaces encore que nous ne sachions jamais ce que serait devenu le monde s’il n’y avait eu l’impact de ces prières, un impact tellement difficile à discerner et à évaluer.

En 2ème lieu, vient donc cette question de l’efficacité, bien à propos en ce siècle où tout est mesuré à l’aune de l’efficience.

En 3ème lieu, il y a ce manque chronique de temps. Dans notre hâte, les journées se sont rétrécies, les repas et les rencontres écourtés ; quant à nos heures de solitude méditative, elles ont été dévorées de même et la prière est sans doute la toute 1ère à faire les frais de ce temps qui se contracte. Oui, nous participons d’une population trop active pour ne pas savoir par expérience combien les termes de prière, méditation, recueillement, contemplation, récollection font partie de ce domaine non rentable, non marchand, donc vite classé inutile.

Si la spiritualité est alors souvent considérée avec quelque dédain, comme quelque chose qui flotte dans les nuages, elle est pourtant ce qui nourrit nos jointures et nous aide à avancer, car, malgré toutes les observations négatives que nous avons collectées jusqu’ici, c’est de l’intérieur, de la pratique de la méditation et de la prière que nous pourrons reconnaître les bienfaits qui ne sont, effectivement, pas toujours ceux qu’un regard extérieur attendrait.

Car cette prière, devenue si difficile, est nécessaire. Nécessaire parfois d’interrompre le travail, l’activité pour le replacer dans une perspective plus globale, une perspective de vie. Nécessaire pour retrouver la communion de Dieu au sein de notre ouvrage et de voir que la tâche entreprise ne déraille pas par rapport à l’orientation générale que Lui me donne. Oh ! Il n’est pas nécessaire d’être dans ses habits du dimanche pour prier. Mais il est nécessaire de se détacher par moments du travail, de s’en libérer, ne fût-ce qu’en esprit, pour le remettre à sa place exacte. Esprit de méditation et de prière plus nécessaire encore pour contrebalancer la charge excessive et le stress de nos journées.

Alors nous rejoint l’exhortation de l’apôtre Paul aux Thessaloniciens : Priez sans cesse (I Thess. 5 :17), un si petit verset ! 3 mots et même 2 seulement en Grec. Voyons cependant un tout petit peu plus large, parce qu’en fait, dans cette finale de sa lettre, Paul rassemble une série d’exhortations diverses, 3 vont ensemble : Soyez toujours joyeux. Priez sans cesse. Rendez grâces en toutes choses… (I Thess. 5 : 16-18a). Et l’on ne manquera pas de remarquer que chaque verbe est accompagné d’un adverbe (ou expression adverbiale) qui élargit fortement la portée de l’exhortation : en tout temps, sans cesse, en toutes choses. Et remarquons encore comment l’exhortation à prier sans cesse est entourée de 2 autres qui se rejoignent en fait : réjouissez-vous et rendez grâces.

Mains jointesL’exhortation à prier sans cesse nous renvoie assez facilement vers la prière de Jésus, le Notre Père, à condition de ne pas tomber dans le piège. Un double piège même, un piège commun à toutes les prières et un piège supplémentaire pour les prières connues par cœur. La prière ne serait-elle que récitation d’un texte appris par cœur ? Mais le cœur, où est-il pendant cette récitation ? Est-il présent ? La prière est-elle habitée par le cœur ? Et le cœur est-il habité par la prière ? 1er piège !
Et le 2nd ? La prière ne peut jamais être affaire de spectateurs ; elle est engagement en même temps que prière. Chaque demande engage celui qui prie, à être participant, à aider à ce qu’il demande. C’est probablement la raison pour laquelle Jésus à donné une prière brève. Ce qu’elle contient suffit pour nous donner un long programme de vie. Jésus n’enseigne pas une prière désincarnée dans laquelle prier pour les autres permettrait de ne rien faire pour eux. La prière n’est pas notre lettre de démission par laquelle nous remettons à Dieu la charge de tout accomplir. Elle vient avec, elle vient en complément de, tout ce que le priant à pu réaliser, mais pas à la place de ce que l’homme aurait pu faire.

Ainsi, si je demande pour nous notre pain quotidien, je dois être prêt à donner moi-même ce pain, à ceux qui en manquent autour de moi. Ou si je prie pour la paix, je dois m’engager moi-même à établir concrètement la paix là où j’en suis capable. On pourrait dire avec le prêtre L. Evely : « Qu’avons-nous à prier Dieu pour la paix ? Dieu nous a donné la paix, il est le grand partisan de la paix. Quand nous lui demandons la paix, nous ne faisons que retourner vers lui la demande qu’il nous adresse. Prier alors, c’est s’ouvrir enfin à ce que Dieu nous propose depuis toujours ».

Prière exprimée, méditation, écoute, action même se trouvent irrémédiablement liées ; elles sont toutes parties intégrantes de la prière dans sa totalité.
Aussi la prière n’est-elle pas réservée à certains lieux privilégiés. Même si sans doute, les voûtes d’une cathédrale, le silence d’un cloître ou la contemplation des campagnes sont de ces lieux qui éveillent notre capacité de prière, ce ne sont là que des stations momentanées et provisoires. Notre méditation peut être active – et devrait l’être – jusque dans la cuisine ou l’atelier, même s’ils n’ont rien de roman ou de gothique. Elle se déroule, la méditation, au-delà de l’eau de vaisselle, de la terre du jardin, du bois qu’on rabote ou du mur qu’on repeint. Notre labeur aussi peut être une église. Et mon recueillement peut avoir un parfum de cyprès ou de thym sauvage, un écho de musique tantôt flamboyante, tantôt poignante, un regard sur l’humanité, regard concerné et solidaire.

Si tant de moments peuvent être un temps de prière, de méditation, d’écoute, d’engagement, notre prière se multiplie alors au travers de notre activité comme au travers de notre oisiveté. Prière et vie deviennent 2 aspects d’une même réalité, la communion avec Jésus-Christ. Notre vie sera prière si elle rejoint la prière de Jésus. Notre vie toute entière sera prière si elle peut s’inscrire comme un engagement, comme une réponse à la prière de Jésus : que ton nom soit sanctifié, que ton règne vienne, que ta volonté soit faite sur la terre (comme au ciel). Que toute ma réflexion, que toute mon action soient portées dans le sens d’accomplir la volonté de Dieu en matière de paix, de justice, d’amour, de partage, de souci des autres, de porter sa bonne nouvelle … Ma vie, toute ma vie, devient prière.

Nous sommes partis d’une image très statique : enfant agenouillée, mains jointes, yeux fermés. Nous aboutissons à une vision dynamique : yeux, esprit, cœur, âme bien ouverts ; homme debout, engagé dans un combat quotidien pour réaliser la volonté de Dieu ; mains ouvertes pour les joindre à tous ces autres qui participent au même combat. Ces 2 images restent, elles ne s’excluent pas, elles sont complémentaires, elles découvrent le champ de la prière, immense, accessible à tous dans sa variété.
Alors pour prier sans cesse, que ta vie soit donc sans cesse motivée par la prière de Jésus, que ta vie soit ainsi modulée selon l’esprit de Sa prière.

Pasteur Daniel Vanescote