Jour de deuil

lever-soleil-campagneRefermons doucement notre journal, il est plein de mauvaises nouvelles, de sottises aussi. L’accumulation de propos sinistres tue, si on n’y prend garde, tout sentiment et donne une seule envie : se coucher, s’enfouir sous ses couvertures, plonger sous son oreiller et ne se relever que quand l’éclaircie reparaîtra…

Ou alors, on va partir dans des raisonnements qui ne servent que d’anesthésiant, de drogue de l’oubli : il vaut mieux ne pas savoir, il vaut mieux se cantonner à son petit monde, se recroqueviller comme une page qu’on brûle et devenir un peu de cendre qui s’envole au moindre coup de vent.

On se dit parfois, certains jours de maladie, de souffrance physique ou morale, de malchance, de détresse, qu’il vaudrait mieux ne pas s’être levé ou, pire, de disparaître…
On se retrouve parfois totalement seul face à son propre désespoir, sur un chemin aride, sans avoir une chance, pense-t-on, d’être compris à travers des mots, des gestes.
Jours où on se sent piégé, acculé dans un coin, ne sachant que dire, que faire pour ne pas briser des liens ténus avec des personnes que l’on apprécie ou que l’on aime.
Jour où on a juste envie de lécher ses plaies, d’attendre que cela fasse moins mal, que l’oubli trace doucement son chemin dans le cœur et la mémoire.

On mesure, alors, la solitude du Christ — toutes proportions gardées — à Golgotha, son abandon par ceux qui lui étaient les plus proches, ceux sur qui il pensait pouvoir s’appuyer au moment le plus difficile de son existence. Ses disciples, on peut même dire ses amis, car comment appeler autrement ces hommes qui ont partagé avec lui le pain et le sel, la brûlure du soleil sur les routes, la fatigue des longues marches, l’émerveillement devant les guérisons, les déceptions face aux cœurs durs, les conversations tranquilles et les diatribes avec les adversaires.

C’est en ces jours-là, où on se sent aspiré vers le fond, qu’il faut se raccrocher à l’espérance, à la confiance, à la main tendue, à la présence invisible de Celui qui a, lui aussi, expérimenté la solitude, la trahison, l’abandon, la peur, le chagrin.
Il s’assied, il écoute, il guérit, il relève aussi nos contradictions, les douleurs provoquées par nous- mêmes, il montre la voie à suivre. Vous savez : celle qui est étroite, difficile, caillouteuse, celle du « sermon sur la montagne », inapplicable à nos yeux de chrétiens si raisonnables, celle du pardon, de « pire » que le pardon.
Une voie si différente de tout ce qu’on lit dans ce fameux journal refermé qu’on passe pour idiot ou mou ou cinglé. Une voie si surprenante, si inhabituelle, qu’on ne vous comprend même pas, qu’on vous regarde avec commisération ou qu’on vous donne des leçons.

C’est en ces jours-là, mortifères, qu’il faut croire à la Vie, les jours de maladies, qu’il faut croire à une guérison possible, du moins de l’âme et du cœur, les jours de désespoir qu’il faut croire à l’espérance, les jours de guerre, qu’il faut croire à la paix, les jours d’obscurité, qu’il faut croire à la Lumière.

A ce prix, se lève, à l’horizon, un nouveau soleil.

Yvette Vanescote